Le changement dans la continuité, de 1956 à nos jours (dernier épisode)

Cette période va connaître à la fois des épreuves douloureuses et des évolutions vers une ouverture au monde libanais, tout en préservant au mieux cet esprit protestant, mélange de foi, de morale et de tolérance. 

       I.            Le Collège Protestant Français 

A partir de la rentrée d’octobre 1956, le collège s’installe dans ses nouveaux locaux sur un terrain vaste et aéré. La construction a été réalisée par Michel Ecochard, architecte, fin connaisseur des pays méditerranéens et attentif aux besoins des futurs utilisateurs. Il en résulte un ensemble architectural à l’esthétique recherchée et originale, adapté au climat et aux pratiques pédagogiques modernes.

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Le Collège Protestant Français, un écrin de verdure dans la ville

Avec le départ de Louise Wegmann en 1965, après trente-sept années à la tête du Collège, c’est une page qui se tourne. De façon symbolique, et comme pour marquer le changement, Martine Charlot, nouvelle proviseure, change les uniformes des jeunes filles, tenue de rigueur jusqu’en 1975.

De façon plus profonde, c’est une fois encore la question de la nature protestante du collège qui est posée.

En 1966, Martine Charlot, dans un article du journal Réforme, s’interrogeait explicitement : « Il est très difficile dans un établissement qui recrute des élèves de milieux fortunés, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec une option confessionnelle, de maintenir une présence protestante spécifique. »

En fait, si Mlle Wegmann fut longtemps entourée d’un nombre important de jeunes protestantes françaises très impliquées dans la vie du Collège, le recrutement de ces jeunes femmes qui participaient à cette « imprégnation »  protestante va devenir au fil des années de plus en plus difficile.

Il est donc loin le temps où le secrétaire du conseil d’administration de PPFL (présence protestante française au Liban) pouvait écrire : « Les parents qui ont à choisir entre le cours de morale et le cours de Bible ont nettement donné leur préférence à ce dernier. » (1951).

Le « culte du matin » lui-même, tradition pourtant  bien ancrée, et consistant en un « Notre Père », un cantique et une allocution de la Directrice, sera supprimé en 1976.

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Les enfants du Collège Protestant

La guerre civile de 1975 à 1990 va profondément marquer les esprits et accentuer le changement de  la physionomie de l’établissement. Cependant, sous la direction de Françoise Bordreuil, proviseure pendant la plus grande partie de cette période terrible, le CPF ne cessera jamais de fonctionner, à l’exception quelques courtes périodes d’interruption. Et si les effectifs  se maintiendront globalement, ils évolueront par contre fortement dans la composition des communautés.

Quelques années après la fin de la guerre civile, une évidence s’impose : le CPF est désormais composé d’une immense majorité d’enfants musulmans (jusqu’à 95% en 1998, dont 65 % de chiites). Force est de constater que les difficultés de circulation entre les « deux Beyrouth », depuis le repositionnement est – ouest des communautés religieuses, a eu raison de la fidélité d’un grand nombre d’élèves chrétiens.

Le cours de Bible, assuré jusqu’en 2004 par l’épouse du pasteur de l’Eglise protestante française, Madame Thérèse Sarkissian, sera remplacé par un cours du fait religieux, dispensé par une enseignante musulmane, diplômée en histoire comparée des religions.

Le lien avec le protestantisme désormais ténu, s’incarnera dans l’affirmation d’une éthique générale d’inspiration protestante.

    II.            L’action sociale et humanitaire 

  • Le dispensaire ophtalmologique

Le dispensaire ophtalmologique de Beyrouth est le seul rescapé, après 1945, du réseau sanitaire mis en place par l’association des œuvres. Cependant, dès 1955 le comité libanais des « amis du dispensaire » attire l’attention du comité de Paris sur la situation financière difficile du dispensaire.

En 1956, à la suite du CPF, le dispensaire quitte la maison des Diaconesses (Clémenceau) pour s’installer en centre-ville dans le quartier de Zoukak-el-Blatt, à prédominance musulmane et considéré comme déshérité.

Par l’intermédiaire de l’Action Chrétienne en Orient, et pendant plusieurs années, des diaconesses de la communauté de Grandchamp en Suisse, viendront apporter leur aide au dispensaire. Grâce à leur engagement, on relève pour la seule année 1957, plus de 20 000 actes de soins gratuits, 3000 consultations pour les yeux, 1 700 pour les oreilles et 145 interventions chirurgicales.

Mais les difficultés financières chroniques finiront par avoir raison du dévouement du personnel médical. En 1998, le dispensaire ferme définitivement ses portes après 71 années de bons et loyaux services.

  • L’Action Chrétienne en Orient (ACO)

Cette association a été créée en 1922 par le pasteur Berron avec les encouragements et la bénédiction de la Mission de Francfort (Hilfsbund) pour venir en aide au peuple arménien victime des massacres et des déportations turques. A partir de 1953, après une longue période d’observation prudente, les autorités religieuses parisiennes, vivement encouragées par le pasteur Hornus se rapprochent  de l’ACO.

Pourtant, en 1968, le pasteur Jean Gabus (cf. infra) regrettera encore une  absence de dialogue entre l’ACO et le comité de Paris.

  • Howard Karagheusian Commémorative Corporation (HKCC)

Il faut enfin évoquer l’action humanitaire menée par le pasteur Robert Sarkissian à Beyrouth au nom du protestantisme français. Dès 1970, Robert Sarkissian sera l’animateur et le directeur de cette œuvre philanthropique en faveur des plus déshérités. Initialement fondé pour venir en aide aux arméniens le centre Karagheusian de Bourj Hammoud dispensera ses soins à tous.

 III.            L’Eglise protestante des Hauts de la Colline (EPFB) 

Le grand chambardement de 1955 n’a épargné ni l’Eglise protestante, ni le Collège. Dans la négociation avec l’Etat français, la « Maison du pasteur » de la rue Clémenceau (que l’on peut encore visiter à l’Ecole Supérieure des Affaires), a été échangée contre le terrain du Dépôt des Troupes du Levant (D.T.L.; cf. précédent article), situé à Ras Beyrouth, au sommet de la colline et adjacent au CPF. L’Église protestante évangélique française du Liban procède alors à la vente d’une partie de ce grand terrain à l’association des œuvres (Présence Protestante Française au Liban en charge du Collège). En 1956, les fonds ainsi obtenus permettent la construction d’un temple et d’un presbytère sur une parcelle de 4500 m2.

Restait à trouver des pasteurs. Ils furent successivement Gaston Wagner (1958 à 64), Jean-Paul Gabus (1965 à 70), tous deux suisses, puis Robert Sarkissian, français d’origine arménienne (1970-2013).

  • L’ouverture œcuménique

Durant la période du mandat français, la paroisse protestante française de Beyrouth avait vécu assez repliée sur elle-même.

Avec l’indépendance du Liban (1943), la paroisse s’ouvre davantage au monde et devient partie prenante du mouvement œcuménique libanais. Les premiers pas en ce sens seront initiés par le pasteur Hornus et se développeront avec le pasteur Gabus. Ce dernier considérera en effet les relations œcuméniques comme une dimension « essentielle et souvent fort absorbante de son ministère ».

  • Ouverture au dialogue inter-religieux

Les initiatives inter-religieuses se multiplient, en particulier au cours de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. C’est avec le pasteur Robert Sarkissian que le dialogue fraternel entre chefs communautaires, druzes et musulmans, prendra une dimension tout à fait hors du commun.

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Robert et Thérèse Sarkissian Pasteur de l’EPFB de 1970 à 2013

Au cours des quinze années de guerre civile, grâce à l’accueil infatigable de Thérèse et Robert Sarkissian, la terrasse du presbytère deviendra un point de rencontre et de dialogue : druzes, sunnites, chiites, maronites de tous bords politiques buvant ensemble le thé sous le citronnier. Suite à ses visites de 1990 et 1993, le pasteur Jacques Stewart, président de la Fédération protestante de France,  écrira dans son rapport : « L’assistance aux cultes est de 35 à 40 les dimanches ordinaires, quelquefois plus les jours de fête, et s’accompagnent du repas. Souvent les maris rejoignent leurs femmes, certains sont chiites druzes. Autour de la table paroissiale protestante règne un climat de télépathie (sic!) que j’ai considéré comme tout à fait extraordinaire ».

En 1998, un rapport atteste de la présence d’une soixantaine de fidèles (26 protestants, 34 sympathisants, pour la plupart catholiques romains, et 8 musulmans souvent conjoints de dames de l’Eglise).

  • 2013 : l’année de tous les changements

L’année 2013 a été marquée par d’importants changements. Début juillet, le pasteur Robert Sarkissian, avec son épouse Thérèse, ont dit au revoir au Liban pour une retraite bien méritée entre France et USA. En août 2013, le flambeau de la petite flamme du protestantisme français beyrouthin a été remis au pasteur Pierre Lacoste, envoyé par plusieurs instances protestantes françaises (CEEEFE, Défap, FPF, APFB, ACO).

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Pierre, Christine et Sophie Lacoste Début du ministère pastoral – Août 2013

Cette nomination d’un pasteur à temps plein pour la paroisse de Beyrouth devait s’accompagner d’un projet de financement (la paroisse n’ayant pas ou si peu de ressources propres). Il a donc été décidé de réaliser la vente d’une majeure partie du terrain du temple. Le produit de cette vente permettra à la fois le financement pérenne d’un ministre du culte et la reconstruction d’un centre protestant à vocations multiples. Tout cela sera réalisé sur le site actuel où l’Eglise conserve une parcelle.

Gageons que la pugnacité huguenote, doublée d’une vision généreuse, permettra à l’Eglise protestante des Hauts de la colline de poursuivre son témoignage dans le vaste et dissonant concert des 18 communautés religieuses du Liban.

Georges Krebs

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Georges Krebs, Administrateur, trésorier de PPFL  – Présence Protestante Française au Liban

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