La communauté malgache de l’Eglise protestante française de Beyrouth

Chorale malgache de l’Eglise protestante française de Beyrouth (Noël 2016)

Cette étude, initialement menée en 2016 par le pasteur Pierre Lacoste dans le cadre d’un Master recherche à la Faculté des sciences religieuses de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth est publiée aujourd’hui. Elle a pour but de mieux faire connaître la communauté malgache de l’EPFB, son histoire, ses craintes et son espérance.


INTRODUCTION

L’Eglise Protestante Française de Beyrouth (EPFB), depuis sa fondation en 1925, dans les circonstances d’après-guerre que l’on sait, n’a jamais rassemblé des foules à son culte dominical. Elle rassemblait un petit groupe de fidèles franco-libanais et d’origines ecclésiales diverses, auquel venaient s’ajouter quelques protestants français expatriés ou sympathisants des idées réformées dans leur expression francophone. Dans les années 2000, la communauté a vu ses effectifs s’amenuiser au point que certains dimanches ordinaires, le culte était célébré à quatre ou cinq au presbytère.

Alors que plusieurs s’interrogeaient sur l’avenir de l’EPFB, la venue de quelques protestants originaires de Madagascar, pour la plupart travailleuses domestiques au Liban, vînt ouvrir de nouvelles perspectives. Au fil des mois et des années, par le bouche à oreille, une véritable communauté malgache, mêlant chrétiens protestants et catholiques, devînt numériquement très majoritaire, redonnant espoir et vitalité à l’Eglise. Cette communauté issue de l’immigration, intégrant aujourd’hui d’autres fidèles venus des pays d’Afrique subsaharienne (Côte d’Ivoire, Cameroun, Bénin, Congo, etc.) représente un segment communautaire d’une quarantaine de personnes, soit près de 80 % des participants au culte.

Cette enquête de type sociologique présente des données objectives sur le phénomène que représente cette présence malgache au sein de l’EPFB. Elle sera ponctuée de réflexions.

Nous présenterons dans une première partie l’état des lieux relatif à la présence malgache dans la communauté. Cette situation nous permettra de présenter et de développer la problématique que nous formulons dès à présent : « Comment ces femmes malgaches, migrantes et domestiques, font-elles Eglise et communauté au Liban, loin de leurs repères traditionnels, dans une langue française qu’elles maîtrisent peu ou prou et dans une forme de célébration différente de leur milieu d’origine?  Comment s’identifient-elles à cette communauté protestante française du Liban ? »

Nous nous interrogerons aussi, au-delà des considérations ecclésiales et culturelles, sur l’aspiration profonde de ces femmes : ne serait-elle pas de l’ordre de la quête de dignité humaine ?

Notre réflexion sera réalisée au moyen d’une enquête quantitative (questionnaire anonyme) et qualitative au moyen d’un entretien personnel.

Enfin, en conclusion, nous ouvrirons une réflexion « en sens inverse » : comment une Eglise aussi hétérogène, réunissant des attentes aussi différentes, peut-elle penser sa vocation ?

I. ETAT DES LIEUX : MIGRATION, PAROISSE, VIE SOCIALE ET SPIRITUELLE

La population visée

250 000 travailleuses domestiques vivent au Liban. Selon l’ONG INSAN, 5000 d’entre-elles seraient malgaches. Cette situation s’explique par le niveau d’extrême pauvreté où se situe leur pays d’origine. Selon plusieurs sources, Madagascar est classé au 5e rang des pays les plus pauvres du monde (Cf. Journal du net)

Le voyage :

S’expatrier, quitter sa famille, fuir la famine, amène cette population migrante à appréhender le voyage vers le Liban de façon anxiogène. La motivation n’est pas le tourisme mais la survie ! En guise d’agence de voyage, le « kafala system » (littéralement « adoption » en arabe ; expression politiquement correcte pour évoquer le statut de ces migrants économiques en quête d’un mieux vivre social pour eux et leur famille.)

Conformément aux règles du “transfert” énoncée par l’agence négociante installée dans le pays d’origine, les migrantes du travail ne prennent avec elles ni change, ni trousse de toilette, ni valise ; la famille d’accueil s’occupe de tout et paye le montant du voyage. Elles vont devenir dépendantes pour le nécessaire comme pour l’accessoire pour une durée d’au moins trois ans (durée normal d’un contrat).

L’arrivée : Peu de temps après leur arrivée, elles souffrent d’isolement. Cet enfermement peut-être entretenu par le discours souvent “protecteur” et sécuritaire de la famille d’accueil. Mais au fil des mois,  connexion wifi aidant, (les smartphones payés par leur patronne pour être joignables en permanence), les « filles » (c’est ainsi qu’on les appelle) se rendent compte que le Liban n’est pas le pays dangereux qu’on leur a décrit, qu’il existe des dizaines de millier de personnes employées de maison comme elles et qui sortent le dimanche. Le culte protestant devient alors un projet de sortie possible, du moins pour celles qui en obtiennent l’autorisation. Il est arrivé au pasteur de la communauté d’intercéder auprès des familles pour quémander un Dimanche de Pâques !

Malgaches protestantes ou non : Celles d’entre-elles qui se trouvent être protestantes sont pour la plupart membres de la FJKM (« Fiangonan’i Jesoa Kristy Eto Madagasikara » – Eglise de Jésus-Christ à Madagascar – la plus importante communauté protestante du pays avec près de 3 500 000 membres). Mais d’autres sont de confession catholique ; c’est finalement la langue française et le lien d’appartenance à la foi chrétienne qui rassemblent.

Certaines femmes voyagent plus d’une heure pour rejoindre le lieu de culte, dépensant annuellement des sommes conséquentes. Mais se retrouver à l’Eglise Protestante Française de Beyrouth, célébrer Dieu en français et en malgache et retrouver ses amies revêt pour elles une importance capitale.

La tenue vestimentaire de ces femmes employées de maison, en congés dominical, mérite un commentaire. Hauts talons, jupes très près du corps, coiffures ostentatoires et maquillage soutenu, autant de signes revendicateurs d’une féminité occultée le reste de la semaine par le tablier rose. Il est important d’accueillir ces expressions de liberté, quelques fois outrancières. Elles manifestent une forme de résistance par une affirmation de soi “compensatoire”.

Le culte dominical

Chaque dimanche, à 10h30,  l’EPFB célèbre son culte. L’assemblée, d’affluence variable, est composée d’environ une 40aine de participants (pour les cultes ordinaires) :

  • 75 % de personnes issues de la migration afro-malgache (environ 90% de cette population est malgache).
  • 15 % de personnes franco-libanaises (membres “historiques” de l’Eglise)
  • 5% de protestants francophone expatriés
  • 5% de visiteurs libanais

Le culte suit le déroulement liturgique classique de l’Eglise protestante Unie de France, déroulement au cours duquel deux chants en langue malgache sont systématiquement proposés avec une traduction en langue française visible sur l’écran powerpoint. Chaque célébration prévoit l’intervention d’une personne d’origine malgache ou originaire des pays d’Afrique par une lecture ou une prière bilingue.

Les condoléances

Plusieurs fois par an, l’Eglise procède à un accompagnement des paroissiennes malgaches en deuil. Une cérémonie de condoléances traditionnelles en langue malgache est organisée à la fin du service religieux pour les personnes ne pouvant rejoindre leur famille en deuil au pays. Faire le deuil d’une mère, d’un mari, d’un enfant à distance provoque des chocs émotionnels et des traumatismes difficiles à effacer. Ce service d’accueil des personnes endeuillées n’étant pas réservé aux seuls fidèles de la paroisse, il peut donner lieu certains dimanches à de grandes affluences.

L’entraide

Il arrive fréquemment que des besoins à caractère sanitaire ou sociaux se fassent sentir. Les personnes travailleuses domestiques au Liban bénéficient d’un contrat d’assurance maladie dont le niveau de prise en charge est très faible. La communauté met alors en œuvre des contributions et donations permettant à des personnes malades ou nécessitant une opération urgente d’avoir recours à des soins ; les familles d’accueil n’hésitant pas dans certains cas à renvoyer leur employée au pays. Sur le plan social également, l’Eglise s’engage envers les femmes qui élèvent des enfants (souvent seules) dans le soutien financier à la scolarisation.

Les “excursions”

Depuis deux années consécutives, l’EPFB propose deux sorties d’Eglises par an nommées “excursions”. Ces sorties en bus dans un coin de nature, introduite par un culte en plein air, connaissent un grand succès. La dernière en date a rassemblé 100 personnes dont la grande majorité sont des personnes issues de la migration. Cet engouement traduit un immense besoin de liberté, de respiration et de reconnaissance d’humanité.

La fête nationale malgache

Chaque année, le 27 juin, la communauté malgache célèbre sa fête d’indépendance (1960). Le phénomène d’éloignement ajoute sans doute à la ferveur. Le pasteur est sollicité pour une prière spéciale et tranche, « au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit », le gros gâteau aux couleurs verte et rouge du drapeau malgache, sur fond d’hymne national. Cette demande de prise en compte de la dimension nationale est également à verser au compte du besoin de reconnaissance.

Le “Forum protestant” (groupe Whatzapp)

Un réseau social a été constitué via l’application WhatsApp. Il réunit 80 abonnés, tous reliés à la vie de l’Eglise. Ce groupe permet une diffusion efficace de l’information mais l’essentiel semble se situer ailleurs. Chaque vendredi soir, le pasteur diffuse auprès du réseau une lecture méditée au format audio de l’évangile du jour. Les 80 abonnés, une fois le travail terminé (souvent tard le soir), dans le secret du placard qui leur sert de chambre à coucher et de sanctuaire, prennent part à une écoute active des méditations bibliques. Certains membres du Forum Protestant diffusent quotidiennement des textes de la Bible en français. Les réponses des uns et des autres se limitent souvent à des « Amen et Alléluia !» ou à des émoticons d’approbation ; c’est le signe d’une présence vivante et joyeuse. Ce “Forum protestant”, ouvert en 2013 est un lieu de parole, d’encouragement mutuel et d’écoute ; il semble correspondre à un besoin.

La fête du travail

Depuis deux ans, le 1er mai est célébré de manière assez originale par l’EPFB. L’Eglise ferme ses portes ce dimanche-là et se joint à la manifestation des « Domestic workers ». Une forme de célébration en actes. A cette occasion, ces femmes employées de maison, issues des pays les plus pauvres de notre monde, revendiquent un minimum de droits et de reconnaissance. Leur leitmotiv : la reconnaissance par l’Etat Libanais de l’article 189 du code international du travail qui leur confèrerait un peu plus de dignité en termes de droit. Est-ce la place d’une Eglise ? C’est en tous cas le chemin que le pasteur de l’EPFB (plus que l’Eglise au  sens institutionnel), a choisi de suivre : accompagner chacun au plus près de ses combats, de ses souffrances.

II. L’ENQUÊTE

Le terrain d’enquête se situe clairement ici dans un espace circonscrit à l’Eglise protestante française de Beyrouth, ses cultes, ses rencontres formelles et informelles. L’objet de l’enquête : les fidèles issues de la migration, travailleuses domestiques malgaches au Liban, participantes de la vie de l’EPFB.

Le sujet de l’enquête : comment la communauté migrante malgache s’identifie-t-elle à l’Eglise protestante française de Beyrouth et comment en modifie-t-elle en même temps la réalité ?

L’enquête quantitative sous forme de questionnaire anonyme a été réalisée auprès de 10 personnes fréquentant régulièrement la communauté.

L’enquête qualitative, sous forme d’un entretien personnalisé a été proposé à la première personne arrivée à l’EPFB en 1996.

1. L’enquête quantitative : le questionnaire.

Les données sont regroupées dans le rédactionnel suivant en trois chapitres :  1. Données générales relatives au profil personnel, social et ecclésial ; 2. L’Eglise comme réponse aux besoins 3. La communauté malgache au service de l’Eglise (en italique, les commentaires).

1. Profil personnel, social et ecclésial

  • 10 femmes malgaches (8 d’âge mûr et 2 plus jeunes), de toutes origines sociales, vivant au Liban dans des conditions (satisfaisantes = 3 ou acceptables = 5 pers / ou difficiles à supporter = 1) depuis (7 à 20 ans = 7 pers / moins de 6 ans = 3 pers), connaissant l’EPFB depuis (1 à 5 ans  = 5 pers / entre 7 et 17 ans= 5 pers), fréquentant l’EPFB (très régulièrement = 5 pers / autant qu’elles le peuvent = 5 pers), et mettant entre 10 mn et 30 mn pour se rendre au culte dominical (= 7 pers) ou entre 30 mn et 1h30 = 3 pers) ont répondu au sondage.
  • Leur niveau d’études à Madagascar est très diversifié (5 = BAC et plus / 5 = le niveau primaire ou brevet) ainsi que leur connaissance du français : (5 = très bon et bon / 5 = moyen et pas très bon).

Cette réalité va affecter la manière dont ces femmes s’identifient à l’Eglise. Le lien ne passe pas nécessairement et uniquement par la compréhension du message annoncé par l’Eglise ou sa théologie.

  • 6 personnes sont issues du protestantisme historique malgache, 3 du milieu évangélique et 1 de l’Eglise catholique.

Ce qui confère à la communauté un caractère plutôt homogène du point de vue de la spiritualité chrétienne.

2. L’Eglise comme réponse aux besoins

  • Elles estiment unanimement avoir reçu un accueil « très chaleureux » à l’EPFB

L’unanimité, malgré le caractère anonyme des réponses, peut laisser penser que les personnes n’ont pas eu la liberté de dire quelque chose de dévalorisant à l’égard de l’Eglise d’accueil. Cette donnée est exploitable mais avec prudence.

  • L’Eglise est premièrement un lieu d’enseignement (5 pers ont situé le service de la parole en premier choix) et d’expression de la louange communautaire (4 pers en premier choix), une seule a définie l’Eglise prioritairement comme une « communauté spirituelle».
  • Elles estiment que la prédication du pasteur est facile ou très facile à comprendre (9 pers), une seule répond : « pas très facile à comprendre ».

Là encore, le sondage émanant du pasteur, il n’est pas impossible que la liberté de réponse ait été affaiblie.

  • En rapport avec les condoléances malgaches, rituel très codifié, le questionnaire offrait la possibilité d’une expression libre. Trois axes de réponses émergent ; certaines réponses cumulant les éléments propres à chaque axe. Le premier axe, mineur, que l’on peut appeler « l’axe identitaire » affirme l’importance de manifester la solidarité-unité entre compatriotes malgaches (3 pers) pers. 2. Le second, « l’axe spirituel » évoque la foi chrétienne (3 pers). 3. Le troisième, « l’axe affectif » est très majoritaire, (8 pers évoquent l’affection à donner pour la personne en souffrance).

Il est intéressant de relever que les aspects affectifs et spirituels sont exprimés plus fortement que le sentiment d’unité nationale. La « malgachité » au cœur d’un évènement traditionnel tel que les condoléances passe après l’affection et le rappel de l’espérance chrétienne.

  • Les excursions (2 cultes en pleine nature par an), permettent premièrement, de faire le culte autrement (5 pers) et de changer d’air (3 pers) ; la fraternité est placée 4 fois dans le binôme de tête.

Ce besoin de vivre l’Eglise autrement loin de la ville, au grand air pour resserrer les liens exprime un besoin évident que la situation sociale de ces femmes explique aisément. L’Eglise répond ici à un besoin « d’ailleurs et d’autrement »

  • L’Eglise soulage-t-elle la détresse sociale de ses fidèles? La réponse est « OUI » à 9 réponses contre 1 « NON ».
  • Selon une majorité, les représentants malgaches au Conseil de paroisse sont là pour « présenter des projets » (5 pers) et pour une minorité importante « représenter la communauté malgache » (4 pers)

Il est intéressant de relever qu’une majorité de réponses fait porter la responsabilité des responsables malgaches du Conseil sur le bien commun et non sur les besoins propres au groupe malgache (5 pers). Même si cette demande arrive juste après (4 pers) ! Indice d’une bonne intégration de la communauté malgache dans l’Eglise.

  • Pour clore ce chapitre une question ouverte sur le sens de l’Eglise. Trois personnes évoquent la référence malgache mais dans des domaines différents. L’Eglise offre aux malgaches une possibilité de se retrouver entre compatriotes 2. d’évangéliser les « brebis malgaches perdues ». 2. Elle offre un culte très proche du culte protestant malgache.

Les autres réponses évoquent des aspects plus classiques : l’Eglise comme lieu d’adoration, d’enseignement, de communion spirituelle et de prière les uns pour les autres.

3. La communauté malgache au service de l’Eglise

  • Qu’apporte le chant malgache dans l’Eglise ? La possibilité de « participer au culte » (7 pers) ; la possibilité de « se sentir reconnu » (2 pers). L’importance de la traduction des chants malgaches en français est reconnue unanimement (10/10)

Le culte n’est pas perçu ici comme un lieu où l’on vient chercher, prendre, mais comme un lieu où l’on vient donner de soi dans sa particularité culturelle et y être reconnu, non seulement toléré.

  • Et quand on demande ce que le groupe malgache apporte à l’Eglise, le langage de la joie est mis en exergue (joie 5x, bonheur 1x, « vivacité » 1x, louange 5x) ; la communion spirituelle, la fraternité, apparaissent comme un apport majeur (6x) ; enfin le « don de la diversité » est également souligné, même si dans une moindre mesure (3x).

Une remarque isolée mais tellement juste, relève que le groupe malgache apporte le nombre !

Une autre remarque, dont il faudrait sonder la profondeur théologique : la présence malgache apporte « du réconfort spirituel » (1x). Cette communauté fait manifestement du bien aux membres historiques. Comment s’apitoyer sur son sort quand les chants polyphoniques de ces femmes, esclaves des temps modernes, remplissent le temple et les cœurs ?

2. Eléments d’analyse

  • Le dépouillement de cet échantillon de données révèle un aspect inattendu : la communauté malgache ne fait pas communauté dans la communauté. Elle fait Eglise avec les autres tout en exprimant sa particularité culturelle et linguistique. Ses attentes ou ses besoins ne sont pas différents de ceux de n’importe quel autre membre.
  • La communauté malgache a conscience d’être un facteur de vitalité pour l’EPFB. L’Eglise serait-elle encore là sans cette “manne paroissiale”, cette présence fidèle et engagée ?
  • Il est enfin intéressant de relever la vocation sociale de l’Eglise L’accueil qu’elle réserve à ces femmes exploitées – même si, dans de nombreux cas, traitées avec respect par l’employeur – lui ouvre un véritable champ missionnaire.

III. L’ENQUÊTE QUALITATIVE : L’ENTRETIEN

Notre choix d’entretien s’est porté sur l’une des toutes premières personnes à avoir franchi le parvis du temple de l’Eglise protestante française de Beyrouth en 1996, il y a  vingt ans. Ce témoin est elle-même travailleuse domestique au Liban et protestante (FJKM).

Vous faites partie des pionnières malgaches de l’EPFB. Qu’est-ce qui vous a poussé à rechercher une Eglise au Liban ?

Le tout premier c’est Emmanuel, un ami protestant malgache. Comme chrétien francophone, on lui avait conseillé l’Eglise maronite Saint-François à Hamra. Là, il rencontre Gaston, un ami de Luc – le gardien du temple protestant. Juste après la messe, Gaston emmène Emmanuel chez Luc qui habitait au Collège protestant. Luc lui fait rencontrer le pasteur Robert et c’est ainsi que la toute première connexion s’est faite. Ensuite Emmanuel m’a fait rencontrer Luc le dimanche suivant et Luc nous a conduit au temple. Il y avait très peu de personnes présentes ; le culte n’avait lieu que tous les 15 jours. Je me souviens de ce jour. Nous sommes entrés à 4 malgaches  dans un temple presque vide.

 Vous souvenez-vous de vos premières impressions quand vous êtes entrée dans le temple ?

Le pasteur Robert nous a accueillies avec joie et nous a demandé d’inviter tous nos amis malgaches à rejoindre l’Eglise. Nous étions reconnaissants de découvrir une Eglise pour nous, de pouvoir chanter à nouveau les cantiques protestants qui ont les mêmes mélodies à « Mada » ou ici. C’était la fête ! A la fin du culte, le pasteur et sa femme nous ont invités à prendre un café au presbytère. Les pasteurs nous ont toujours soutenues. Ils n’hésitent pas à appeler les familles libanaises pour demander des autorisations de sortie en faveur de leurs « bonnes protestantes »

Qu’est-ce qui a changé depuis votre arrivée en 1996 ?

L’Eglise n’a pas changé sur le plan de sa foi. L’annonce de l’Evangile est toujours la même. Ce qui a changé, c’est qu’il y a un culte tous les dimanches aujourd’hui et, malgré la démolition du temple, j’observe une plus grande affluence au culte. La création de la chorale malgache a certainement favorisé cette croissance. La démolition a été un choc. C’était notre Eglise !

Je me souviens que dans l’ancien temple, il y avait les Malgaches à gauche et les Français à droite ? N’est-ce pas une drôle de façon de faire Eglise ensemble ?

Oui c’est vrai ! Mais je ne crois pas que ce soit le résultat d’une ségrégation ou d’une méfiance. Les Malgaches, comme toutes les minorités à l’étranger ont tendance à se regrouper parce qu’ils parlent la même langue. Le pasteur Robert voulait aussi qu’on se mélange ! Je n’ai jamais ressenti de malaise. Au contraire, l’Eglise protestante française nous a rendu la dignité que nous avions perdue en venant au Liban. Toute la semaine je suis une bonne et le dimanche je suis une chrétienne au même titre que les autres.

Si je vous demande trois mots pour décrire que ce que cette Eglise représente pour vous ?

Foi, Dignité et Partage ! La foi, c’est ce que l’Eglise annonce et que nous croyons ; c’est aussi ce qui nous rassemble. La dignité est au centre ! Je ne savais pas que je trouverai un cadeau aussi précieux dans ce pays qui m’a dépossédée de ma dignité humaine. Le partage enfin, c’est la vie communautaire qui se fabrique au fil des années. On apprend à se reconnaître comme frères et sœurs des quatre coins du monde, dans nos différences culturelles ou même de croyances.

Le service de condoléances est aujourd’hui ouvert à tous, pas seulement aux fidèles de l’Eglise. Vous êtes d’accord avec ça ?

Une personne dans la peine n’est ni protestante, ni catholique, ni athée, elle est juste dans la peine. L’Eglise par vocation doit se tenir aux côtés de ces personnes endeuillées. Elle doit accueillir sans condition toute personne en demande de réconfort. Cet accueil inconditionnel peut aussi produire un déclic chez la personne. Dieu agit au travers de notre amour. C’est lui qui évangélise son Eglise. Il reste beaucoup de femmes malgaches à rejoindre !

Vous êtes membre du groupe WhatsApp : qu’est-ce qu’il vous apporte?

J’écoute les méditations du vendredi soir après le travail quand je suis au calme dans ma chambre. Je suis aussi abonnée au site web de l’Eglise ; je reçois les prédications et cela nourrit ma foi. Mais au moins trois fois par semaine  après ma journée de travail, je fais du baby sitting jusqu’à minuit. Je rentre trop fatiguée pour écouter et je me couche directement.

Comment vois-tu l’avenir de la communauté malgache dans l’Eglise ?

Il faut que nous soyons vigilants la communauté malgache est fragile. Il y a eu par le passé des problèmes de mésententes entre responsables. Il y a eu aussi des groupes concurrents et même la chorale a connu des moments difficiles. Ces tensions pourraient mettre l’Eglise en difficulté. Je crois que le rôle du pasteur est ici très important. Il doit rassembler et continuer de travailler à l’unité entre tous. Il doit à la fois veiller à ne pas entrer dans les petites histoires et rester ferme dans la direction à donner. C’est sans doute l’un des grands défis à venir.

(Ps. L’entretien a eu lieu en 2016, au moment où de fortes tensions se faisaient sentir au sein  de la communauté malgache, ce qui n’est plus le cas au moment de la publication de cet article)

Conclusion Générale

Cette enquête révèle une très belle histoire. Elle apporte la « preuve » que Dieu n’abandonne pas son Eglise dès lors qu’il a une mission à lui confier.

Alors que l’Eglise Protestante Française de Beyrouth à la fin du siècle dernier arrivait doucement à la fin de son histoire au Liban, une manne venue de Madagascar et d’Afrique a ouvert de nouvelles perspectives.

Comment la communauté migrante malgache est-elle parvenue à s’identifier à l’Eglise Protestante Française de Beyrouth ? De la plus simple des manières. En s’y laissant accueillir et en y apportant humblement l’expression de sa foi. Cette rencontre montre que la mixité ethnique et culturelle est le plus beau cadeau qui puisse être fait à l’Eglise du Christ. Il est tellement facile (et tellement ennuyeux !) de rester ce que l’on est pour l’éternité. C’est peut-être cela l’enfer…!

Cette étude a montré que la « communauté malgache » – expression devenue désormais inappropriée, a modifié la réalité et le témoignage de l’EPFB. Quelques témoignages rapportent que d’anciens membres franco-libanais ont cessé de venir face à l’affluence des « gens de couleur ». Mais la bénédiction est pour ceux qui la saisissent dans la foi. En vingt ans, l’EPFB est passée du statut « d’Eglise d’amis » à celui d’« Eglise en mission ». Depuis trois ou quatre ans, se greffe sur le vieux tronc historique, un nouveau rameau : celui de la communauté “africaine”.

Luc Dingamoundou, tchadien d’origine, “employé” du temple et du CPF dans les années de guerre (1975-1990), serait heureux de constater l’évolution actuelle de l’Eglise et l’accroissement de la population africaine. Son accueil chez lui de toute personne isolée ou en recherche d’un moment d’amitié, était un sas d’entrée à l’Eglise protestante française.

Aujourd’hui, les uns avec les autres, indépendamment de leur origine ou de leur ancienneté, contribue par leur présence, leur foi et leur amitié, à bâtir une Eglise différente. Dans un monde libanais communautarisé et socialement très compartimenté, l’Eglise protestante française de Beyrouth porte un témoignage à la fois fragile et unique. Que Dieu prolonge encore ses jours !

Un verre de l’amitié très joyeux à l’occasion de la visite au Liban du président de la Fédération protestante de France, François Clavairoly.

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