Fin du mandat français et perspectives nouvelles (1939 à 1956 – 4e épisode).

La seconde guerre mondiale va avoir des effets parfois dévastateurs sur les œuvres protestantes françaises au Levant (Syrie-Liban).

La défaite française de juin 1940 interrompt brusquement les relations entre la France et le Levant, entravant les liaisons entre institutions tutélaires parisiennes et implantations syro-libanaises.

Dès 1936, la perspective de la fin du mandat français pose, pour le protestantisme français, la question de la poursuite de ses activités au Levant. Si le panarabisme rêve de la constitution d’un vaste empire englobant les pays du Levant sous mandat français, le sénateur Eccard se veut rassurant. Concernant le Liban, affirme-t-il, « pays à forte majorité chrétienne, il n’y a pas lieu d’être trop soucieux. La France y est aimée et son crédit bien établi ».

Effectivement, si au Liban les Français seront accueillis en libérateurs par une bonne partie de la population, il n’en sera pas de même en Syrie où la France, après avoir anéanti les espoirs nationalistes arabes, laisse image très négative.

Au Liban, la présence protestante se maintient et prospère

Au Collège protestant, si les difficultés de ravitaillement amènent à fermer l’internat, les professeurs ont pu être acheminés au Liban avant la rentrée d’octobre 1939. Le personnel est invité à rester au Liban pendant les congés d’été 1940. Le Collège, dont la réputation se consolide d’année en année atteint même, en 1942, le chiffre record de 436 élèves.

Le dispensaire ophtalmologique de Beyrouth élargit son action aux enfants des camps de réfugiés arméniens qui s’agglutinent aux portes de la ville – suite à la rétrocession du Sandjak d’Alexandrette à la Turquie.

Le foyer des jeunes est transformé en « Foyer du soldat » au profit des militaires français.

Le culte protestant français est assurée par le pasteur de Cabrol, aumônier militaire des troupes du Levant (du régime vichyste de 1939-41). En concertation avec l’ACO (Action Chrétienne en Orient) des cultes ont également été présidés à Alep en Syrie, des allocutions religieuses diffusées par radio et la publication d’un bulletin : « Le lien protestant ».

D’une manière générale les institutions protestantes françaises au Liban traversent sans trop de préjudices ces temps difficiles. Il n’en sera pas de même en Syrie où l’isolement et les opérations militaires de juin 1941 vont vite avoir raison du réseau de dispensaires, petits hôpitaux et orphelinats du djebel Druze. Seule vivotent la paroisse de Damas, desservie par le pasteur Couderc, dont le nombre de ses ouailles va diminuer après l’armistice de Saint Jean d’Acre en juillet 1941.

 Vers les indépendances

Avec la libération de Paris, à partir d’octobre 1944, le Comité des Œuvres va pouvoir reprendre ses réunions et, grâce à la présence de Philippe Bianquis, obtenir des informations sur la situation au Liban. Malgré un contexte incertain, sous l’impulsion du sénateur Eccard, il est affirmé que le Comité « ne doit pas laisser fléchir son effort au moment où l’influence culturelle de la France doit plus que jamais se manifester en Syrie et au Liban (1) ».

Les soubresauts qui marquèrent la route vers l’indépendance, tant  par les manifestations jusqu’aux portes du Collège à Beyrouth que l’insurrection qui embrase Damas en mai 1945, n’entament pas l’optimisme. Il est considéré que « compte tenu des sentiments inamicaux (sic) des Syriens à l’égard des Français qui sont obligés d’évacuer la Syrie, notre œuvre se trouve momentanément limitée au Liban en attendant des jours meilleurs (2) »

Pour ce qui est de la paroisse évangélique protestante française de Beyrouth, elle se trouve au sortir de la guerre confrontée à trois difficultés :

  1. Avec le départ des troupes du Levant et la libanisation des administrations, l’effectif de la paroisse d’une trentaine de fidèles pendant la guerre, se trouve encore amenuisé.
  2. L’augmentation constante des effectifs du Collège amène les fidèles à quitter la chapelle qui est aménagée en salle de classe, et à déménager dans les sous-sols du presbytère : retour à la situation de 1925…
  3. Avec le départ de l’aumônier militaire (Cabrol), la paroisse doit se mettre en quête d’un nouveau pasteur.

 Le grand chambardement : Collège, Eglise

Au lendemain de la guerre, le Collège, victime de son succès, apparaît trop exigu et peu fonctionnel dans le bâtiment historique des diaconesses allemandes (actuelle Ecole Supérieure des Affaires, ESA, à Clémenceau). De plus, la volonté du gouvernement français est explicite :  « il faut que se développe un maximum d’établissements d’enseignement secondaire et spécialement le Collège Protestant  Français (3) ».

1-Le Prsebytère transformé en jardin d'enfants
Le presbytère devenu un jardin d’enfants

Louise Wegmann se met alors en quête d’un  lieu pour la construction d’un nouvel établissement mais sans succès. Avec la détermination qu’on lui connaît,  elle impose donc des solutions d’attente.  Profitant de la vacance du poste pastoral, elle transforme le presbytère en jardin d’enfants et maternelle ; ceci jusqu’en 1956 !

A partir de 1955, suite à des négociations avec le Quai d’Orsay, commence le transfert de l’établissement dans une construction neuve sur un terrain appartenant à l’État français (Dépôt des Troupes du Levant), situé dans le quartier de Koraïtem, sur les hauts de la colline.

C’est d’ailleurs avec les foudres du pasteur J-M Hornus (il y en aura d’autres !) que le cérémonial de la pose de la première pierre eut lieu le 25 mars 1955, reprochant de recourir aux rites de la superstition musulmane la plus dégradée ! Ni lecture de la Bible, ni prière, mais le scellement de pièces de monnaie de tous les pays du monde

La maison des Diaconesses était à la convergence des quartiers chrétiens et musulmans, alors que le DTL est dans un secteur à majorité musulmane. Malgré un système efficace de ramassage scolaire par car, en dix ans, le pourcentage d’élèves musulmans est passé de 25,6%  (1956) à 32,1%  (1965), tandis que l’effectif global croissait sur la même période de 1143 à 1439 élèves.

Au moment de son départ en tant que dernier aumônier  militaire, le pasteur Brès, quelque peu désabusé, s’inquiète de l’avenir de la paroisse protestante de langue française. Avec le décès de Mlle Charlier en 1930, « il n’y a plus aucune famille française protestante fixée à demeure ». (4)

Cependant certains paroissiens ne partagent pas ce pessimisme et en appellent au pasteur Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France, afin de pourvoir le poste d’un nouveau pasteur.

1-Noel 1953 au dispensaire de Beyrouth
Noël 1953 au dispensaire de Beyrouth

En dépit de cette démarche la paroisse restera sans ministre de juillet 1946 à septembre 1953. Pendant cette période les cultes seront assurés successivement par des délégués pastoraux, Francis Durdilly, puis André Caquot, mais également par des laïcs comme Messieurs Valla, Will, Wintergerst et Philippe Bianquis dont le rôle fondamental dans l’implantation et le développement du protestantisme français au Levant a été évoqué dans l’épisode précédent. Il quittera le Liban en 1953.

A la recherche d’un pasteur bilingue (afin d’assurer aussi la desserte les protestants suisses, danois, et allemands), le pasteur Jean Michel Hornus, nanti de diplômes universitaires, est enfin trouvé en 1953. Son séjour jusqu’en 1958 sera néanmoins houleux, comme déjà évoqué précédemment. Homme de foi rattaché au mouvement de la Réconciliation, intellectuel de gauche (avec tout le risque que cela peut sous-entendre dans la réalité libanaise et les attentes de ses paroissiens), homme de culture et de recherche, il écrit de nombreux articles savants sur le christianisme et des dizaines de longues lettres destinées à faire valoir ses points de vue.

Dans ces conditions, il était inévitable qu’il se confronte à la personnalité non moins affirmée de Louise Wegmann, notamment quand il s’agira d’entreprendre l’édification d’un temple et d’un presbytère dans le cadre du « grand déménagement » sur les hauts de la colline.

Malgré la patience et les précautions de ses interlocuteurs, il s’opposera également au comité parisien allant jusqu’à mettre en cause leur  légitimité pour diriger l’Eglise française de Beyrouth. Ces attitudes tranchées et autres manigances, finiront par indisposer également les membres du conseil presbytéral beyrouthin. Le 9 mai 1958 ces derniers décident de renoncer à sa collaboration et le remercient.

Indépendamment des problèmes liés à une personnalité bouillonnante, ce conflit révèle un débat récurrent à propos de la spécificité protestante des œuvres et du collège en particulier. Le pasteur Hornus, missionnaire dans l’âme, voulait affermir le témoignage du protestantisme auprès des protestants levantins mais aussi au-delà, ne craignant aucun prosélytisme.

Nous verrons dans le prochain et dernier article comment le collège protestant a poursuivi son développement, s’ouvrant aux systèmes pédagogiques modernes, tout en restant attaché à défendre ses valeurs, dans un climat de guerre civile. Nous  apprécierons également le parcours d’une Eglise protestante se découvrant une nouvelle légitimité au Levant dans le dialogue œcuménique et l’ouverture inter-religieuse.

Georges Krebs, administrateur PPFL

(1) CR de la réunion du Comité des œuvres du 18 oct. 1944

(2) CR de l’AG de l’Association des œuvres du 23 juin 1946 ; Communication d’Henri d’Allens, secrétaire général de l’association.

(3) Propos tenus le 19 juin 1945 par Guy Monod, de la direction « Afrique-Levant » du Ministère des Affaires étrangères, devant Mers, devant le sénateur Eccard et rapportés par ce dernier.

(4) PV de l’AG de l’Eglise protestante française de Beyrouth du 17 janv 1946.

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