« Prie les yeux grand ouverts ! » (Méditation du Psaume 123)
L’ensemble des psaumes 120 à 135 constitue un livret à part dans le psautier. Ce sont des chants dits « des montées », composés à l’occasion des grandes fêtes juives. Les pèlerins en route vers Jérusalem y puisaient du réconfort.
Le langage du corps
Ce psaume 123 est une prière d’appel au secours. Celui qui prie par ces mots se sent écrasé par l’oppression. Il ressent une humiliation profonde et dans un cri de désespoir, il lève les yeux vers le ciel…
Cette attitude de lever les yeux, d’ouvrir les yeux sur le ciel, dit des choses intéressantes sur la prière. Considérons un instant les différentes attitudes de notre corps quand nous prions. Chacune exprime un message différent.
Prier debout, assis à genoux. Prier les mains jointes, les mains levées ou les mains ouvertes. Prier les yeux fermés ou les yeux ouverts, la bouche fermée ou en faisant vibrer nos cordes vocales… Tout cela dit quelque chose, non seulement de notre disposition intérieure, mais plus profondément du sens que nous donnons à la prière.
Nous n’y prêtons guère attention. Ce sont des habitudes de vie et de culte qui nous ont été quelquefois transmises depuis l’enfance par nos parents ou d’autres chrétiens.
Mais cela ressemble souvent à : « Quand tu pries, ferme tes yeux, ferme tes mains, ferme ta bouche ! » La prière ressemble alors inévitablement à un recroquevillement sur soi, un repli sur nous-mêmes. Tête baissée, mains crispées, yeux fermés. On ne sera pas étonné qu’une telle gestuelle accouche d’une prière autocentrée !
Prier, c’est vivre !
La prière du fidèle dans ce psaume prend la direction contraire. En Israël la prière, souvent publique, n’est pas un enfermement sur soi. On se méfie au contraire des silences intérieurs, source de toutes les confusions, de toutes les diversions. Qu’y a-t-il d’ailleurs de plus bruyant que le silence intérieur ?
Dans ce psaume, la prière est au contraire une ouverture. Je lève les yeux vers le ciel. J’ouvre grand les yeux sur le ciel. Garder les yeux ouverts, c’est rester éveillé, lucide, connecté au réel. Prier les yeux ouverts, c’est inévitablement découvrir au passage les besoins des autres.
La prière biblique n’est pas une fuite de la réalité. Elle n’est pas un passeport pour un voyage spirituel hors du temps et hors du monde. Bien au contraire, la prière biblique est un engagement au plus près des réalités. Elle est un combat les yeux grand ouverts !
En fermant les yeux, on ne prie, symboliquement, que pour soi. Et quand on prie pour les autres, ce sont encore les autres réduits à la dimension de ce que nous en comprenons dans le huis clôt de notre être intérieur. Et si nous faisons souvent fausse route dans notre intercession pour les autres, c’est parce que nous projetons sur eux ce que nous voudrions pour nous. C’est une erreur.
Ici le psaume est un cri réclamant la fin de l’oppression et de l’humiliation. Ce cri, les yeux grand ouverts, est dirigé vers le ciel, unique source possible de libération. Et si nos gestes de prière sont trop fortement ancrées, eh bien, comme le dit la chanson, « ouvre les yeux de ton cœur » !
Tels les yeux des serviteurs… Tels les yeux d’une servante… Tels nos yeux vers le Seigneur attendent qu’il fasse grâce. Grâce ! Seigneur grâce !
Un geste de la main
Je trouve ce regard des serviteurs fixé sur la main de leur maître particulièrement beau. Cela ne justifie pas l’esclavagisme! L’accent porte sur l’attention du serviteur aux désirs de son maître. Il fixe des yeux cette main qui peut tour à tour ordonner, bénir, inviter et encourager…
Il faut rappeler que le statut des esclaves en Israël n’était pas comparable à celui des noirs en Amérique au 19e siècle. La loi de Moïse prévoyait la libération des esclaves au bout d’une période de sept ans (Exode 21.2).
Mais ce qui fait réellement une différence dans ce psaume, c’est la capacité de la main du maître à bénir, à secourir, à faire grâce. Le fidèle attend du Père céleste pardon, secours et protection. C’est ainsi que Jésus lèvera les yeux vers le ciel avant la multiplication des pains, rendant grâce à Dieu, le Père qui prend soin des affamés. (Mat 14.19)
Tenez bon !
Nous sommes loin ici des exigences de ces « Madame » ou de ces « Monsieur » pour lesquels nombre d’entre vous travaillent du matin jusqu’au soir. Leurs yeux surveillent vos mains pour vérifier que vous en faites assez, exigeant toujours plus d’heures, toujours plus de travail.
Ce psaume est donné aujourd’hui comme une grâce, un outil de résistance pacifique à toutes les femmes d’Afrique, d’Asie qui sont soumises par le « Kafala system » à des conditions inhumaines de travail (même si, hamdullah, certaines d’entre vous sont très bien traitées.).
Avec celles et ceux qui souffrent aujourd’hui de leur situation au point même de désespérer, je partage avec beaucoup d’émotion ce psaume 123. J’appelle avec eux, pour eux la grâce de notre Dieu. Qu’elle soit pour vous comme un rayon de soleil qui vient d’en-haut, comme un geste de la main qui vous dit l’amitié du Père. Amen !