« Le sacrifice de la joie ! » (Méditation de Romains 12.9-21)
Après avoir exposé le mécanisme du salut nommé « justification par la foi », fruit de la seule grâce de Dieu, l’apôtre Paul, égraine maintenant à ses destinataires romains un certain nombre de recommandations pratiques. Le salut n’est pas une construction mystique désincarnée à usage privé. La vie en Christ a ceci de particulier qu’elle crée de la vie, des relations, des interdépendances entre les gens. Le principe de cette dimension relationnelle du christianisme est exposé en tête de chapitre 12 : « Je vous exhorte à offrir votre corps en sacrifice vivant, consacré et qui plaise à Dieu. ». Et en guise d’application, l’ensemble 9 à 21 invite à la mise en pratique de 12 dispositions : amour sincère, zèle au service, joie, patience, hospitalité, bénédiction du prochain, ouverture à l’autre, humilité, recherche du bien, de la paix, de la non-violence, et de la victoire sur le mal. Reste à savoir en quoi consiste cette offrande de soi ?
On n’est pas des bonzes !
Je revois ces images désolantes de chrétiens philippins, les soirs de vendredi saint, poussant la folie religieuse jusqu’à se faire crucifier pour suivre jusqu’au bout le chemin de souffrance de leur maître. S’il y a bien une association de destin entre les croyants et le Christ, elle se définit de toute autre façon. Pour devenir martyre ou kamikaze, il suffit de s’emmurer avec sa cause, sa vérité. Tôt ou tard, il en sortira quelque chose de dramatique. L’offrande de son corps en sacrifice, telle que la préconise l’apôtre Paul, répond à d’autres exigences, bien plus coûteuses si l’on y réfléchit.
« Offrir son corps en sacrifice vivant à Dieu » signifie : « Que la vie de l’homme tout entier devienne un culte à Dieu ! ». Toutes vos existences ! Paul emploie le mot corps ici pour éviter justement les dichotomies piégeuses autour de la pratique religieuse. Dans la vie du chrétien, il ne peut y avoir de domaines séparés : la vie cultuelle et la vie profane. Comme le corps ne peut déclarer étranger l’un ou l’autre de ses membres, la vie de la semaine doit être le prolongement de la vie dominicale, pas sa face cachée ou le revers de sa médaille.
Chrétiens du Dimanche ?
Le chrétien ne peut pas être un petit saint à l’Eglise et un homme sans foi ni loi dans la vie de tous les jours. Paul barre ainsi une autre voie : la vie chrétienne n’est pas constituée de deux sphères distinctes et opposées, l’une spirituelle et l’autre matérielle. Le sacrifice spirituel n’est pas celui de belles prières qui ne coûtent pas cher, et le matériel, relatif à quelques tâches « subalternes » de ménage ou encore le service de la collecte ! Les trésoriers sont spirituels quand ils comptent les sous et les pasteurs le sont aussi (et peut-être surtout !) quand ils changent eux-mêmes une ampoule dans le temple au lieu d’appeler le « frère-matériel » de service.
Dans cette même dynamique holistique, la prédication de la parole ne peut se contenter d’égrainer des pensées pieuses qui touchent à peine le sol et a fortiori la vie des gens.
Je hais vos sacrifices ! (Jérémie 6.20)
En utilisant le langage sacrificiel de l’Ancien Testament l’apôtre Paul que dans la Nouvelle Alliance, tous les croyants sont à la fois prêtres et victimes. La voici l’association de destin dont nous parlions plus haut ! En raison de mon attachement à Christ, c’est moi qui dois offrir et c’est moi que je dois offrir. Ce sacrifice doit être vivant parce que Dieu n’a plus que faire des sacrifices mortels et mortifères de toutes les religions du monde. Depuis l’événement de la croix, c’est la foi et la vie qui sont agréables à Dieu, non le sang et les larmes !
Et s’il fallait dégager l’essentiel de la liste des 12 dispositions qui font le chrétien en 9-21, on pourrait choisir la joie, l’hospitalité et la victoire sur le mal. Voilà le nouveau sacerdoce, les trois piliers d’une vie chrétienne consacrée. Je me bornerai, pour ne pas faire long, au pilier qui me semble soutenir le plus solidement mon existence.
La joie, non comme émotion subie qui va et qui vient au gré des circonstances ; mais la joie comme choix résolu, comme fondement à l’existence, comme parti-pris. Paul ne parle pas ici de tempérament mais de style de vie assumé. Quand la tristesse nous assaille, quand la vallée obscure, interminable, semble vouloir tout engloutir, la joie de Dieu est toujours possible, chemin étroit sur lequel chantent les fous de Dieu au beau milieu des désastres de l’existence. Soyons prêtres et prêtresses de la joie !