A table ! (Méditation d’Ézéchiel 3.1-4)
Apocalypse 10 : 1, 8-11(TOB)
1 Et je vis un autre ange puissant qui descendait du ciel.
Il était vêtu d’une nuée, une gloire nimbait son front,
son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu.
8 Et la voix que j’avais entendue venant du ciel me parla de nouveau et dit :
Va, prends le livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre.
9 Je m’avançai vers l’ange et le priai de me donner le petit livre.
Il me dit : Prends et mange-le. Il sera amer à tes entrailles,
mais dans ta bouche il aura la douceur du miel.
10 Je pris le petit livre de la main de l’ange et le mangeai.
Dans ma bouche il avait la douceur du miel,
mais quand je l’eus mangé, mes entrailles en devinrent amères.
11 Et l’on me dit :
Il te faut à nouveau prophétiser sur des peuples, des nations, des langues et des rois en grand nombre.
Jean 6 : 50-58
51 Le pain vivant qui est descendu du ciel, c’est moi. Celui qui mange de ce pain vivra pour toujours. Et le pain que je donnerai, c’est mon corps, je le donne pour la vie du monde.
55 Mon corps est une vraie nourriture et mon sang est une vraie boisson. 56 Si quelqu’un mange mon corps et boit mon sang, il vit en moi, et moi je vis en lui.
Ézéchiel 2.1-2, 9-10, 3. 1-4, 14
La voix (de Shaddaï) me dit : Fils d’homme, tiens-toi sur tes pieds, et je te parlerai. Dès qu’il m’eut adressé ces mots, l’Esprit entra en moi et me fit tenir sur mes pieds ; et j’écoutai celui qui me parlait…
Je regardai, et voici qu’une main était tendue vers moi, tenant un livre en rouleau. Il le déploya devant moi : il était écrit en dedans et en dehors. Il y était écrit : Lamentations, plaintes, gémissements.
Il me dit : Fils d’homme, mange ce que tu trouves, mange ce rouleau et va parler à la maison d’Israël ! J’ouvris la bouche, et il me fit manger ce rouleau. Il me dit : Fils d’homme, nourris ton ventre et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne ! Je (le) mangeai, et il fut dans ma bouche doux comme du miel. Il me dit : Fils d’homme, va vers la maison d’Israël, et tu leur diras mes paroles !
14 Alors l’Esprit me souleva et m’emporta ; j’allai, amer et l’esprit irrité ; la main du SEIGNEUR était sur moi, très dure.
S’il est une réalité commune à tous les protestants, c’est la place centrale reconnue à la Bible. Quels que soient ses courants théologiques, des plus évangéliques aux plus libéraux, il est entendu que la Bible seule fait autorité pour la foi. Même s’il est vrai que les protestants ne lisent plus beaucoup la Bible, elle reste leur ultime référence. Alors comment reprendre le chemin de la lecture de la Bible si par mégarde vous l’avez perdu ? La réponse est simple : suivre le prophète Ézéchiel et l’apôtre Jean : Il faut manger la Bible !
La théo-phagie des religions
C’est une image ! Il ne s’agit pas d’ingurgiter des pages de la bible comme certaines croyances musulmanes le préconise avec le Coran. Comme le rite de la Roqia qui consiste à réciter une sourate sur un verre d’eau tout en postillonnant. Ce “soufflet d’eau au Coran” devient alors pur breuvage qui protège des démons et guérit les maladies. Une variante de la pratique consiste à faire tremper un verset du coran dans l’eau et boire ensuite l’eau qui contient l’encre du verset. On trouve des superstitions équivalentes dans le christianisme avec l’eau bénite de Lourdes, ou même dans la théologie catholique du sacrement de l’eucharistie et sa croyance en la transsubstantiation du pain et du vin en vraie chair et vrai sang.
En mangeant le rouleau que lui tend Dieu, le prophète Ézéchiel est appelé à une autre expérience. Manger le rouleau évoque un message symbolique simple : premièrement la parole de Dieu doit entrer en nous, devenir une composante de notre vie intérieure. Cette parole une fois entrée, va nourrir et orienter notre vie en harmonie avec le désir divin.
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es…
C’est ce qui se passe dans notre vie biologique. Notre corps ressemble à ce que nous mangeons. Un paysan des hauts plateaux à Madagascar sera sec et vigoureux. Il mange ce qu’il cultive et élève. De l’autre côté du monde, 40 % de la population américaine est obèse. C’est le résultat d’une alimentation saturée en sucre et en graisse.
Dans le premier Testament l’interdit alimentaire est tout à fait central. On doit faire très attention à ce qu’on met dans sa bouche. Si le porc est considéré comme une viande impure c’est parce qu’il se nourrit d’ordures et de tout ce qui traîne. Dans la pensée juive, nous sommes ce que nous mangeons !
Logophage !
Dans la prédication de Jésus, la nourriture va devenir le symbole de la vie spirituelle. Le pain est une image de la parole. Jésus lui-même se compare à une nourriture : « Prenez, mangez, ceci est mon corps » ou encore : « Mon corps est une vraie nourriture et mon sang un vrai breuvage ». Il est évident que Jésus ne nous appelle pas à devenir des anthropophages mais à accueillir spirituellement sa présence, sa parole et sa vie au cœur de notre existence.
Le principe biblique de ne rien manger d’impur est toujours valable, mais il est spiritualisé : «Nous devenons ce que notre esprit devient selon la nourriture qu’il consomme ». Et la source la plus importante de nourriture spirituelle, c’est la lecture, l’écoute de la parole de Dieu. Un chrétien qui lit peu ou écoute peu la Bible aura une vie spirituelle carencée.
Comme pour le corps humain, moins on mange et moins on a faim. Moins on lit, moins on a envie de lire et plus on se dessèche spirituellement. Mais on aurait tort de croire que c’est la quantité de lecture qui va faire la richesse de notre vie spirituelle. Je me souviens, tout jeune chrétien, j’avais voulu lire la Bible de la Genèse à l’Apocalypse. Mais au bout de 15 ou 20 chapitres, j’ai fait une indigestion. Et le résultat fut inverse, je n’avais plus envie de lire.
“Tolle lege! Tolle lege!” (Prends et lis, prends et lis !) – Confessions de Saint-Augustin
Il faut donc lire la Bible avec intelligence et liberté plus qu’avec passion. Certains passages sont plus nourrissants que d’autres, il faut les déguster doucement. D’autres sont d’un moindre intérêt, il faut passer vite dessus. D’autres sont compliqués, il faut les remettre à plus tard. Après la lecture d’un texte biblique riche et lumineux, on peut ressentir un besoin de silence, de digestion. Il est bon alors de s’arrêter de lire pour méditer, penser, prier et laisser cette parole agir en nous. Il est bon aussi de trouver rapidement le chemin du retour à la lecture. Prends et lis !
Un petit goût aigre-doux
Une chose m’étonne dans l’expérience du prophète : le message à manger est à double effet. Dans un premier temps il est doux comme un bonbon.
Le seul fait d’entendre Dieu rompre le silence est un moment de bonheur. Nous ne sommes plus seuls. C’est une source de joie profonde. Quand Dieu rompt le silence, tout devient possible dans nos vies. Au contraire, rester seul avec soi-même, se nourrir et se conforter de ses propres convictions dans un monologue pervers et immuable, c’est la voie de la perdition! Faire au contraire l’expérience de l’altérité comme Ézéchiel, c’est prendre le risque de casser le cercle des certitudes pour entrer dans l’inconnu de Dieu. Face à Ézéchiel, il y a quelqu’un dont le regard, le message, les questions viennent perturber l’existence, lui donner une orientation inconnue, une amplitude nouvelle. Dans l’écoute de la parole de Dieu, je me sens exister autrement. Je me découvre soudain être libre, crédité d’une richesse incomparable, pris de vertige devant l’immensité du monde qui s’ouvre devant moi !
Le deuxième effet est celui de l’amertume. Le message à annoncer est dur. Il dit la vérité. Il ne raconte pas des histoires pour faire plaisir. C’est le risque de la fréquentation des Écritures. L’entrée de ce message en nous a une force d’interpellation puissante. La parole renverse l’ordre établi, met le doigt où ça fait mal. Elle nous appelle sans cesse à combattre tout ce qui sert la mort, l’égoïsme, la vanité, la peur. Ainsi, à chaque pas vers la vie, il faut que quelque chose meure en nous. Ce “quelque chose” nous y tenons beaucoup. Cela touche à notre équilibre. L’abandon de soi, est un accouchement douloureux *, un arrachement. Il ne se fait jamais sans amertume.
Mais le goût du miel revient toujours. La parole n’est pas un instrument de torture mais de libération ! Elle est source de vie, de paix, de joie profonde. Tout cela pour dire, sœurs et frères, qu’il faut nous remettre à lire la Bible. Oui, qu’elle redevienne notre compagne de route. Elle est vraie nourriture et vrai breuvage. Un peu de discipline ne gâchera rien. Cela se fera au détriment de certains autres engagements moins nourrissants et qu’il faudra sans doute laisser mourir ! Amen !