« Voici le chemin, prenez-le !» (Méditation d’Esaïe 30.15-23)
Cette section 30-31 est consacrée à une mise en garde appuyée contre toute mésalliance avec l’Egypte (voir déjà chap. 19). Un retour vers Misraïm (en arabe et en hébreu), resté un fantasme très fort chez Israël, est dénoncé ici par le prophète comme « un refuge illusoire » (sous-titrage TOB). Ce n’est pas tant l’Egypte comme pays ou comme peuple qui est dénoncé ici [le Dieu de l’univers aime toute sa création : « Bénis soit l’Egypte mon peuple » (Es 19.25)], que l’éloignement du chemin tracé par le Seigneur : « Voici le chemin, prenez-le ! » (v.21). Dans ce passage, Juda (royaume du sud d’Israël), reçoit un vibrant appel à la conversion. Au-delà des circonstances historiques propres à cette époque, y a-t-il une parole pour nous ?
« La fuite en Egypte » : une régression historique fatale (v.15-17)
« Ils vont se mettre en sûreté dans la forteresse du Pharaon, à l’ombre de l’Egypte… » (v.2). Israël voudrait réécrire son histoire à l’envers, chevauchant les montures rapides de l’armée du Pharaon pour regagner en sens inverse la mère Egypte, nouvelle terre promise. Terre des ombres, (v.2) avertit le Seigneur, au sens d’éphémère, d’illusoire. Dieu ne déroulera pas cette fois devant leur course folle le tapis rouge de la mer des joncs. Le péché n’est pas dans l’Egypte elle-même mais dans la représentation fantasmée que s’en font ceux qui courent à sa rencontre. Face à ce désir suicidaire de régression historique, Dieu ne se contente pas d’avertir, il appelle son peuple à une conversion.
Repos, calme et confiance : les effets de la grâce
Comment expliquer cette fascination pour l’Egypte ? Comment interpréter ce désir de déconstruire l’histoire de l’alliance entre Dieu et l’homme ?
Reconnaître que nous avons besoin de Dieu et de sa protection, c’est renoncer à nos désirs de toute-puissance, accepter notre finitude, assumer ce lien de dépendance qui nous attache au Seigneur et qui nous situe dans le monde. Cet abandon de nos désirs de maîtrise présuppose une conversion (chouva de chouv : tourner, retourner) ; cette conversion produira d’autres désirs : repos, calme et confiance. « Je n’ai pas peur d’être perdu, disait cet auteur américain agnostique dans un récent entretien, j’ai peur d’être trouvé ». Telle est l’explication de la fuite éperdue de l’homme devant son Dieu et son prochain : la peur d’être trouvé, démasqué, mis à nu par l’intense luminosité de la présence de Dieu (« La lumière du soleil sera multipliée par sept » v.26, ce qui signifie que toute la lumière sera faite).
Remarquez que Dieu ne promet pas d’explication ; il n’offre aucune révélation supplémentaire ; pas de nouvelle sortie d’Egypte, seulement l’apaisement. Pour guider nos existences, nous n’avons que la parole de Dieu pour toute boussole (v.15). De même que la voix d’une maman résonne comme l’unique source d’apaisement d’un enfant angoissé par la nuit, la parole de Dieu fait ici l’effet d’un baume pour nos existences perdues. A la peur d’être trouvé, suit la peur d’être perdu et la joie d’être enfin trouvé !
Un jugement qu’il ne faut pas craindre (18-22)
Dieu va se lever pour manifester sa miséricorde. Quand Dieu se lève en général, ce n’est pas bon signe, « Quand il se lève, les plus vaillants ont peur, et l’épouvante les fait fuir. » (Job 41.25). Quand Dieu se lève, le jugement et la punition sont imminents. Ici, c’est le contraire qui se passe. Dieu se lève, non pour faire un malheur, mais pour manifester son amour (v.18).
Sur son passage, le pain et l’eau pure abondent (v.20). La parole qui prévient des dangers se fait entendre (v.21). L’abondance et la lumière sont les joies quotidiennes des fidèles pourtant livrés à l’oppression (v.20)
Au cœur de la nuit…
La Bible ne nous raconte pas d’histoires. Elle ne se fait pas marchande de rêves pour de gentils lecteurs crédules. Croire en Dieu ne nous dispensera jamais d’affronter les épreuves. A vrai dire, aucune d’entre elles ne nous sera épargnée.
La seule promesse à laquelle nous pouvons nous attacher, c’est celle de la présence de Dieu. Aucune épreuve ne nous sera épargnée sauf celle du désespoir de la solitude. Au plus sombre de nos égyptes intérieures luit un soleil éternel qui annonce la délivrance totale de toutes les servitudes, la fin des pleurs (« Il essuiera toute larme de leurs yeux » – Ap 21.4)
Quelle merveilleuse promesse à vivre ! « Voici le chemin, prenez-le » (v.21)