Vivre ou mourir de rire ? (Méditation de Genèse 18.1-15)
Cette page qui nous est donnée à méditer est l’une des plus belles de la Bible. Dans la plus fine poésie orientale s’y développe un entretien grandiose et unique entre Abraham et Dieu… Une dramaturgie biblique intense, authentique, pleine d’humour et de subtilité qui interpelle le lecteur sur la trajectoire de sa propre existence. Depuis ce récit, « l’irréversible », le « trop tard » et ses conséquences, résignation et amertume, se trouvent du côté de l’homme, pas du côté de Dieu…
On a tout essayé…
Abraham et Sarah sont âgés maintenant, usés (v.11-12). Leur vie est à l’image de cette journée écrasée de chaleur où le moindre mouvement coûte, où il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre le soir, espérant y grappiller quelques instants de fraîcheur avant de s’allonger pour la nuit. Le soir de la vie est là. Est-ce le poids des ans ou l’énergie dépensée à courir après les promesses de Dieu qui sont la cause de la vieillesse du couple patriarcal ? Il aurait dû y avoir naissances, il aurait dû y avoir pays ! Mais l’espérance est passée comme une pluie d’étoiles filantes. Ils ont tout essayé. La gestation pour autrui, avec Agar la servante, les alliances politiques hasardeuses avec les rois voisins pour tenir un semblant de terre promise, un ersatz d’accomplissement et se convaincre ainsi qu’ils n’ont pas vécu pour rien.
« Où est Sarah ? »
Mystérieuse visite une et plurielle au milieu de ce jour immobile. Laissons à ce mystère son voile. Disons que Dieu vient à la rencontre d’Abraham et de Sara. Plus exactement de Sarah. Pour une fois Abraham n’a qu’un second rôle. La question des visiteurs ne laisse aucun doute là-dessus : « Où est Sarah ta femme ? » (v.9). C’est elle que Dieu vient visiter. Sarah est dans sa tente, cachée, comme il se doit en orient quand des hommes palabrent. Elle est à sa place, derrière, en cuisine, nulle part… Dans la Bible, Dieu s’intéresse souvent aux personnages de seconde zone, aux exclus, aux sans voix. C’est ainsi qu’avec beaucoup d’humour et de stratégie, la narration fait passer Sarah au centre de l’intrigue. Abraham n’est plus qu’un figurant. Alors que son homme, telle une Marthe hyperactive, se démène pour honorer la tradition d’hospitalité orientale (je confirme !), Sarah, dans sa tente, est à l’écoute de Dieu, telle Marie aux pieds de Jésus (Luc 10.38-42). A ceci près qu’elle se marre en entendant le message divin !
LOL ! (ou : l’impertinence comme credo)
Sarah vient d’entendre l’impossible. Et à l’impossible, comme chacun le sait… Alors elle pouffe. Le rire de Sarah est moins celui de l’incrédulité que de l’impertinence. Ce n’est pas Dieu qu’elle remet en cause, « seulement » sa capacité d’agir. Et Dieu lui demande : « Y a-t-il une limite au faire de Dieu ?» (Littéralement au v.14). Par le rire, Sarah exprime une vision du monde et de sa destinée personnelle : «Dieu a façonné l’ordre du monde de telle façon qu’il ne peut plus que s’y soumettre » (v.13). Inchallah ! C’est la parole de la soumission au destin, vision déterministe de la vie, partagée par tant et tant de gens, orientaux comme occidentaux, croyants ou non.
Au temps du renouveau (v.10 ; 14)
Mais avec le Dieu de la Bible, l’irréversible, le définitif ne sont jamais inéluctables. Il peut arriver que quelque chose vienne perturber l’ordre établi, fût-il biologique !
L’insolence du rire de Sarah revêt une musicalité tout autre en cette fin de récit. Son rire devient jaune. Elle se met maintenant à douter, non pas de Dieu mais d’elle-même. Toute drapée de rationalité, quand elle opposait les lois de la nature à la parole de Dieu, voici maintenant qu’elle se met à nier l’évidence : « Je n’ai pas ri !» (v.15). Ce doute de l’homme envers lui-même est magnifique ! Il est la brèche par laquelle peut s’infiltrer la grâce, la promesse. Avec Dieu, le monde réel n’est pas figé dans un éternel présent, dans l’immédiateté de ce que l’on perçoit. La parole créatrice du commencement est encore à l’œuvre. Dieu a décidé de revenir au temps du renouveau… Le délai permettra à Sarah de réviser sa vision du monde et de Dieu ; puis le moment venu d’apprendre à rire vraiment : dans le bonheur de l’enfantement.
Le rire, signe de la vie de Dieu !
Du doute à la joie, tel est le parcours de Sarah dans ce récit. Son rire insolent est devenu réparateur. Elle mettra au monde un enfant qui portera le nom d’Isaac : « Dieu m’a donné sujet de rire ! », s’exclamera-t-elle le jour de sa naissance (21.6) – Itshaq signifiant en hébreu : « Il a fait rire ».
Ce garçon fera rire sa mère comme il fera rire sa femme Rebecca (26.8). Quel bon fils, quel merveilleux mari ! Le rire est un ciment essentiel pour la joie des famille comme pour le couple (faut-il encore que nous ne soyons pas de tristes conjoints !). Nous n’avons pas davantage le droit d’être de tristes chrétiens. Dieu en Jésus-Christ nous révèle le visage de Dieu ;visage souriant qui fait naître en nous une joie démonstrative et contagieuse. Soyons toujours joyeux ! (1 Thess 5.16).