Prédestination : le Grand sélectionneur (Méditation de Romains 9)
Il paraît qu’un théologien est quelqu’un qui passe son temps à répondre à des questions que personne ne se pose. Mais quand arrive une vraie question, il n’est pas garanti qu’il trouve la réponse ! La question posée par ce chapitre 9 de l’épître aux Romains est sans doute celle qui a généré les débats les plus vifs : qu’est-ce que la prédestination ?
Un jeu de massacre ?
Le terme de prédestination est révoltant quand il désigne cette pré-sélection arbitraire au salut : « Toi. Pas toi. Toi. Pas toi ». Si au moins Dieu avait agit comme le sélectionneur de l’équipe de France de football, prenant les meilleurs et laissant les mauvais, il y aurait une justice ! Mais voilà, l’apôtre Paul, dans les chapitres précédents, vient de nous convaincre du contraire : « Tous ont péché et tous sont privés de la gloire de Dieu. » (Rom 3.23). L’arbitraire divin reste-t-il donc la seule règle de prédestination ? Ce que nous haïssons chez les hommes, devrions-nous, par soumission, l’accepter chez Dieu ?
Pourtant, cette figure, cette face d’un Dieu absolu, à la fois souverain maître de l’univers et comptable du moindre cheveu de ma tête, avait exercé une forte fascination sur le jeune étudiant en théologie que j’étais. Mais je n’ai pas tardé à me rendre compte que cette vision du Dieu terrible, dont le fait de savoir qu’il savait suffisait à tuer en moi tout désir de savoir, risquait à terme de produire des effets désastreux : la folie religieuse ou l’athéisme.
Et pourtant, c’est bien d’une prédestination dont nous parle ici l’apôtre Paul. Dieu voit plus clair et plus loin que nous. C’est du reste pour cela qu’il est Dieu ! Et de là où il se trouve, il est capable d’un jugement parfait. Mais Dieu ne veut pas exercer une liberté hors de tout principe. Il se ficelle lui-même dans des cordages qui sont ici très clairement explicités : « Je ferai grâce à qui je ferai grâce, j’aurai compassion de qui j’aurai compassion » (9.15).
Moïse et Dieu : un entretien serré
Cette parole de Dieu, citée par Paul, a été prononcée dans un contexte particulier. Au chapitre 33 du livre de l’Exode, Moïse et Dieu entrent en vive discussion suite à l’épisode du veau d’or (chap. 32). Israël s’est compromis dans l’idolâtrie. Les infidèles ont été châtiés par la main de Moïse et non celle de Dieu qui a renoncé à frapper ! Il reste maintenant à savoir comment continuer la route. S’ouvre alors cet entretien serré entre Dieu et Moïse au cours duquel Moïse demande à Dieu de conduire lui-même ce peuple rétif. Dieu tente alors de convaincre Moïse qu’il l’a équipé pour ce travail, que c’est son rôle. C’est à ce stade précis de l’entretien que se joue quelque chose d’essentiel à notre compréhension de la prédestination. Moïse demande à Dieu de lui montrer sa face (33.18). Dieu lui répond alors : « Je ferai grâce à qui je ferai grâce, j’aurai compassion de qui j’aurai compassion. » Dieu choisit pour Moïse un autre angle de vision de sa gloire… Pas dans la confrontation du face à face. Ailleurs, à l’angle de la grâce et de la compassion.
Dieu annonce alors qu’il va passer (33.21-23). Moïse sera protégé au creux du rocher par la main de Dieu servant d’écran protecteur. Si la gloire (au sens de toute-puissance) de Dieu reste in-envisageable, la grâce, elle, se donne : « Je ferai passer devant toi toute ma bonté» (v.19). Moïse verra Dieu, de dos certes, mais c’est ainsi : la bonté de Dieu a bon dos ! Elle pardonne les impardonnables que nous sommes. Elle ne se lasse jamais.
Des clés pour comprendre Dieu
La bonté, la grâce et la compassion sont les clés que nous offre la Bible pour percer l’essentiel du mystère divin et en particulier celui de la prédestination. Dieu ne dit pas : « Je ferai grâce à qui je ferai grâce et je condamnerai qui je condamnerai ». Dieu n’appelle pas les uns rejetant les autres. Il ne dit pas : « Toi. Pas toi. Toi. Pas toi. » En Jésus-Christ, il dit : « Oui ! Toi, toi et toi. Toi encore, toi bientôt… toi enfin ! Toi toujours ! » En Jésus-Christ, Dieu vient à nous dans la lumière de la grâce. En Christ, la gloire et la grâce de Dieu se réconcilient. Et dans cette étreinte, au creux du rocher, il y a de la place pour tous les hommes.