Nous sommes de l’herbe
Esaïe 40, 1 à 11
1Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2Parlez au cœur de Jérusalem, criez-lui que son combat est terminé, qu’elle s’est acquittée de sa faute, qu’elle a déjà reçu du SEIGNEURle double de ce qu’elle méritait pour tous ses péchés.
3Quelqu’un crie : Dans le désert, frayez le chemin du SEIGNEUR ! Aplanissez une route pour notre Dieu dans la plaine aride !
4Que toute vallée soit élevée, que toute montagne et toute colline soient abaissées ! Que les reliefs se changent en terrain platet les escarpements en vallons !
5Alors la gloire du SEIGNEUR se dévoilera, et tous la verront ensemble— c’est la bouche du SEIGNEUR qui parle.
6Quelqu’un dit : Crie ! On répond : Que crierai-je ? — Toute chair est de l’herbe, tout son éclat est comme la fleur des champs.
7L’herbe se dessèche, la fleur se fane quand le souffle du SEIGNEUR passe dessus. Vraiment, le peuple est de l’herbe :
8l’herbe se dessèche, la fleur se fane ; mais la parole de notre Dieu subsistera toujours.
9Monte sur une haute montagne, Sion, toi qui portes la bonne nouvelle ; élève ta voix avec force, Jérusalem, toi qui portes la bonne nouvelle ; élève ta voix, n’aie pas peur, dis aux villes de Juda : Votre Dieu est là !
10Le Seigneur DIEU vient avec force, son bras lui assure la domination ; il a avec lui son salaire, sa rétribution le précède.
11Comme un berger, il fera paître son troupeau, de son bras il rassemblera des agneauxet les portera sur son sein ; il conduira les brebis qui allaitent.
Prédication
Je voudrai ce matin réfléchir sur les versets 6 à 8 du texte que nous venons de lire : « Quelqu’un dit : Crie ! On répond que crierai-je ? Toute chair est de l’herbe, tout son éclat est comme la fleur des champs. L’herbe se dessèche, la fleur se fane quand le souffle du Seigneur passe dessus. Vraiment, le peuple est de l’herbe : l’herbe se dessèche, la fleur se fane ; mais la parole de notre Dieu subsistera toujours. »
Historiquement ce texte se situe dans la période qui suit l’Exil à Babylone (- 500) et le prophète annonce un nouveau temps pour le peuple et le rétablissement de Jérusalem dans son rôle de lumière des nations. Jérusalem « s’est donc acquittée de sa faute » (v 2), une nouvelle ère s’ouvre désormais. Pourtant dans cette euphorie, le prophète croit bon de rappeler le caractère éphémère de l’homme sur cette terre. Il compare donc le peuple a de l’herbe. Cette comparaison on la retrouve à plusieurs reprises dans la Bible, en particulier dans certains psaumes. L’herbe c’est le banal absolu de la végétation. Elle pousse, elle sèche et repousse sans que l’on n’y prête guère attention. La multitude des hommes est ainsi comparé à la multitude de ces brins d’herbe. Nous passons sur terre et notre existence aux yeux de Dieu reflète ce même caractère éphémère. Une seule chose est constante et immuable : la parole de Dieu. Le chaos du monde ne concernerait-il pas Dieu ? Comment cette parole s’articule avec les crises de notre existence ?
Que pensez de ceci ? Devons-nous baisser les bras et attendre que ce destin fatal nous amène dans la tombe ?
Le premier motif qui se dégage de ces versets est celui de la fragilité humaine.
Dès lors, les limites du temps qui s’imposent à la nature de l’homme, ne doivent nullement être appréhendées comme un mal, ni comme le résultat d’une quelconque punition de l’homme, mais plutôt comme une caractéristique de la condition humaine. Comme le note Robert Alter, ce motif est ici un thème fondamental, qui offre un accès significatif, pour véhiculer une perception tout à fait originale de la foi à l’époque post-exilique. Le motif de la fragilité humaine dans plusieurs livres bibliques est imprégné d’un certain pessimisme. Le prophète utilise le motif de la fragilité humaine, comme un trait de différence entre Dieu et l’homme, dans le but de persuader ce dernier à reconnaitre la grandeur de Dieu, comme maître du temps et de l’histoire.
La mise en lumière de cette stratégie de l’auteur éclaire le contexte de l’utilisation du motif de la fragilité humaine. En effet, à la suite de la catastrophe de l’Exil, et de la monarchie davidique, qu’il vit comme la conséquence de la colère de Dieu, Esaïe reprend le motif de fragilité de l’homme dans le but d’amener l’homme à assumer les échecs, et les souffrances dues à la chute de la monarchie d’une part, et d’autre part, à amener l’homme à renouer avec la foi de l’époque où Israël comptait sur l’intervention de Dieu.
Le deuxième motif est celui du refus de l’anthromorphisation de Dieu. Trop souvent, nous voulons un Dieu à notre portée, un Dieu que l’on peut maitriser, un Dieu à notre image et non l’inverse. Pourtant, ces versets nous rappellent que Dieu est le tout autre, l’absolument autre. C’est une notion un peu difficile, mais Dieu est au-delà de l’être, il n’est pas un super-être. Son mode d’existence ne rentre dans aucune catégorie humaine. Il faut arrêter de dire : « Dieu croit cela, Dieu pense cela.. » et le faire entrer dans nos schémas de pensée. C’est évidemment un peu difficile car nous ne pouvons pas penser l’au-delà de l’être. Comment penser la transcendance ? Même dans nos cultes, nous essayons de réduire la distance entre Dieu et l’homme. C’est nécessaire pour notre foi. Pourtant pour ne pas tomber dans une certaine forme d’idolâtrie ou de superstition, il faut relire parfois ces versets d’Esaïe ou celui du Psaume 90, par exemple, qui dit : « Car mille ans devant tes yeux, sont comme le jour d’hier »(v4), une autre façon de dire que notre passage sur terre n’est qu’un épiphénomène aux yeux de Dieu.
Le troisième motif est la permanence de la parole de Dieu : « la parole de notre Dieu subsistera toujours ». Dieu se rend présent par sa parole. Le texte de la création nous dit que c’est par la parole que Dieu va créer le monde. Le prologue de l’évangile de Jean nous a rappelé qu’au commencement était le verbe. La parole de Dieu est donc le fondement de l’univers et le fondement de notre propre compréhension de nous-même. Nous touchons là une des clés de la théologie de la Réforme. La Réforme inverse le rapport Dieu/homme. Jusque là prévalait la relation de l’Homme vers Dieu, l’homme par ses actions devait gagner la confiance de Dieu, les réformateurs pensent au contraire que, ce qui est déterminant, c’est la relation de Dieu vers l’homme. La puissance de sa parole dépasse notre fragilité et le caractère éphémère de notre passage sur terre est transformée. Sa parole donne sens à nos actes de tous les jours. Même si à l’échelle de Dieu cela ne compte pour rien. Dieu n’est pas le comptable de nos vies, Dieu est celui qui nous donne le souffle primordial. On peut lui donner aussi le non de « grâce ». Ainsi notre vie sur terre dépend de cette grâce première mais nous restons autonomes et responsables de son accomplissement. C’est vers une foi adulte que nous conduisent ces versets d’Isaïe. Ils nous secouent, pourraient nous pousser au découragement et pourtant nous saisissons cette parole et nous l’interprétons pour nos vies.
Brice Deymié