Matthieu 17, 1-9
Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène avec lui sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : «Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie.» Il parlait encore lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le.» Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : «Relevez-vous et n’ayez pas peur !» Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur fit cette défense : «Ne parlez de cette vision à personne, avant que le fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.»
Le texte que nous venons de lire, fait partie de ceux qui nous permettent de dire que notre foi de chrétiens est essentiellement basée sur une expérience. Une expérience qui nous a précédée, puisqu’à l’aube de l’histoire, souvenez-vous, un peuple commence à faire l’expérience d’un Dieu personnel, qui fait soudainement irruption, dans son histoire, collective et personnelle. Notre foi de chrétiens est basée sur la même expérience qu’a fait le peuple hébreu depuis sa naissance en tant que peuple, c’est-à-dire environ treize siècles avant Jésus Christ. Qu’est-ce qui s’est passé ? On ne sait pas trop pourquoi, un jour, Dieu se fait connaître, d’abord à un homme, Moïse, dans l’épisode du buisson ardent, à qui il dit : “Je suis Yahweh, celui qui suis” ; et à qui il ordonne d’aller libérer un peuple menacé de génocide. Voilà notre Dieu qui intervient dans l’histoire, qui se fait connaître, qui bouleverse tout. Et ce peuple va être sans cesse tiraillé entre, d’une part, l’appel de Moïse et des prophètes, qui lui demandent d’être fidèle à ce Dieu-Libérateur, dont il peut faire quotidiennement l’expérience dans sa propre vie, parce que son histoire est une histoire sainte ; et d’autre part, toute une pesanteur de cette humanité qui se méfie sans cesse, qui se dit : non, ce n’est pas possible qu’un Dieu intervienne, qu’il ne punisse pas, qu’il soit vraiment proche de nous : de toute cette humanité qui réclame sans cesse des preuves, de cette humanité tentée de retourner sans cesse à ses vieilles idoles. Pourtant, réfléchissant sur cette irruption de Dieu dans leur vie, les meilleurs d’entre eux vont se dire : mais il y a longtemps que cela a commencé. Au début, disent-ils, il y a Abraham. Qu’est-ce qui s’est passé ? On ne sait trop. Mais en tout cas, voilà un brave païen, qui vivait du côté de Babylone, au dix-neuvième siècle avant Jésus-Christ, qui, un jour, entend Dieu qui lui parle, qui se révèle à lui, pour le mettre en route. Dieu lui demande de « marcher en sa présence » Il lui fait cette promesse : « En toi seront bénies toutes les nations de la terre. » Au sein de ce peuple toujours tiraillé entre l’appel des prophètes et la pesanteur de sa vie, des hommes émergent, comme les grands témoins de cette proximité de Dieu : ils en ont fait directement l’expérience. Ce sont particulièrement Moïse et Élie. Il y en a eu d’autres, mais ces deux-là sont les plus grands. Moïse, à qui Dieu dit, après la libération d’Égypte : « Monte sur la montagne. Je veux faire de ce ramassis de gens mon peuple. Il faut donc qu’il ait un code de bonne conduite, des lois. » Moïse va donc rester quarante jours sur la montagne du Sinaï, à converser avec Dieu. La Bible, nous rapporte, dans son langage imagé, comment Moïse demande à Dieu, un jour, de voir son visage. Dieu lui répond que c’est impossible, car quiconque le verrait mourrait sur-le-champ. Cependant Dieu se manifeste à Moïse en passant devant lui « de dos ». Et quand Moïse redescend du Sinaï, son visage est tellement resplendissant de lumière que les gens ne peuvent pas supporter son éclat et demandent à Moïse de mettre un linge sur son visage lorsqu’il s’adresse au peuple. Ce qui n’empêche pas les Israélites de retourner à leurs anciennes croyances. Au temps d’Élie, c’est sous l’instigation du roi lui-même, Achab, qu’une grande partie du peuple est en situation d’apostasie. Élie va se battre vigoureusement contre cette situation, si bien que la police d’Achab le poursuit et qu’il est obligé de s’enfuir. Il arrive, lui aussi, au Sinaï, et Dieu lui dit : « Tu es un bon serviteur. Je vais me montrer à toi. » Et pour lui faire bien comprendre qu’il n’est pas le fruit de l’imagination des hommes qui, de tout temps, ont divinisé les forces cosmiques, vont se succéder diverses manifestations terrible ouragan, puis l’orage, puis le feu, puis un tremblement de terre. Mais Dieu n’est pas dans ces manifestations. C’est quand Élie sent sur son visage une brise légère, qu’il se couvre de son manteau, car il sait bien qu’alors, c’est Dieu qui passe. Quand l’apôtre Pierre écrit à la première génération chrétienne, il dit : « Nous n’avons pas eu recours aux inventions des récits mythologiques, mais nous l’avons vu nous-mêmes (le Seigneur Jésus) dans toute sa grandeur. » Pierre livre dans cette lettre son expérience personnelle. Une expérience qui est instructive pour nous. Pierre a rencontré Jésus par hasard. Il ne s’occupait même pas de Jésus, ce jour-là : il lavait ses filets, nous dit l’évangile, alors que Jésus parlait à la foule. Pourtant il y a eu la rencontre et l’appel, comme pour Abraham. Et Pierre va marcher. Il est séduit par cet homme qui est à la fois tellement humain (comme lui, il a faim, il a soif, il est fatigué) ; et tellement divin : il guérit les malades, il chasse les démons, il ressuscite des morts, il dit des paroles extraordinaires. Bref, Pierre va faire dans sa vie quotidienne l’expérience de la proximité de Dieu. Son histoire personnelle, si quotidienne, si banale en un certain sens, devient une histoire sainte. Oh bien sûr il y a des jours où il ne comprend pas, où il n’a même plus envie de marcher. Et voilà qu’arrive le jour de la Transfiguration. Et un peu plus tard, surtout, l’expérience de la Résurrection de Jésus. Pas seulement pour Pierre , mais pour tous ses apôtres, et pour combien de disciples ! « plus de cinq cents frères », dit l’ap Paul. Tous ceux-là, ayant fait cette expérience, ne vont pas la garder pour eux. Notre religion, ce n’est pas une religion. C’est une expérience religieuse. C’est tout autre chose, pour peu que nous fassions personnellement cette expérience. Certains diront : on nous a baptisés, on nous a envoyés au catéchisme. S’il n’y a eu que cela, on en est resté à une religion plus ou moins formaliste ; on peut comprendre très bien qu’ensuite, devenus adultes, des jeunes disent qu’ils ne croient en rien. Ils n’ont fait aucune expérience, ils n’ont pas su découvrir que leur histoire personnelle était une histoire sainte. Il n’y a eu personne pour les engager sur cette voie d’une rencontre avec un Dieu qui se révèle, qui se fait connaître très proche, très paternel, très tendre. Et nous ? Nous avons eu peut-être la chance de faire cette rencontre, grâce à un père, une mère, un camarade, un événement subit. Nous pouvons dire comme Pierre et tant d’autres : « je l’ai rencontré » Alors, on marche. Aux deux sens du terme : on avance dans la vie, et en même temps on croit. On croit sur parole. Sur cette Parole qui fonde notre existence. Et notre vie personnelle, comme la vie de notre monde, nous pouvons la lire comme une histoire sainte. Aujourd’hui, le Père s’adresse à nous pour nous présenter Jésus comme son Fils bien-aimé. Et il ajoute : «Ecoutez-le. »