L’offre d’un commencement (Méditation de Genèse 1.1-2.3

La lecture comme rencontre

En présence d’un texte, quel qu’il soit (une contravention, un mot d’amour, un problème de math, un plan pour monter une armoire, une histoire, une légende, etc.), un petit mécanisme se met automatiquement à fonctionner dans notre cerveau pour nous dire comment accueillir, comment interpréter le texte que nous avons devant les yeux. Devons-nous mettre la casquette du citoyen, de l’amoureux, du scientifique, du technicien, de l’historien, du poète ou de l’enfant qui sommeille en nous ? C’est le texte qui doit décider. Les malentendus ne manquent pas de se produire. Et ils peuvent quelquefois être très embêtants. Si, par exemple, tu as la casquette de l’amoureux transi sur la tête et qu’au lieu d’un poème tu reçoives de l’âme sœur un extrait du code civil établissant les droits et devoirs des conjoints… tu risques de faire une drôle de tête. Un texte est comme une personne et la lecture du texte comme une relation qui commence et qui peut mal finir si l’on ne prend pas les précautions d’usage… Avec le premier chapitre du livre de la Genèse commence pour nous une aventure, mais pour que cette relation ne tourne pas court, il est impératif que nous sachions à quel genre de texte, à quel genre de lecture nous sommes invités.

L’art de poser la bonne question

Le récit de la création ne doit pas être confondu avec un plan de montage IKEA ! Ce récit ne nous raconte pas comment Dieu s’y est pris pour créer l’univers, mais pourquoi il s’est lancé dans cette aventure. Dès que nous sommes en relation avec qui que ce soit, avant de parler, de conclure ou de juger, il faut écouter, sinon on s’expose à de graves malentendus. Il en va de même avec le texte.

Comment Dieu a-t-il a créé le monde ? Cela n’intéresse pas du tout l’auteur du récit de Genèse 1. Du reste, s’il avait voulu montrer comment le Dieu unique s’y était pris au commencement, il n’aurait pas puisé dans les récits cosmogoniques des dieux babyloniens (cf. l’épopée de Gilgamesh) ! Il aurait inventé un plan, une méthode unique en son genre pour revendiquer et valoriser l’unicité et l’ingéniosité d’un acte créateur incomparable. Si le récit biblique des origines ressemble à beaucoup d’autres, il témoigne cependant de quelque chose d’original. Il décrit la figure d’un Dieu dont le comportement est particulier et cette fois réellement incomparable.

Ce qui est unique et bouleversant ici, c’est la volonté de rencontre et d’amour que le Dieu du livre de la Genèse met en branle pour nouer avec sa créature une relation. Le récit biblique de la création nous raconte le commencement d’une rencontre entre Dieu et l’humanité. Avant de nous raconter l’histoire de personnages tels Noé ou Abraham, celle d’un peuple particulier, la première page de la Bible englobe toute l’humanité. Elle accueille et reconnaît les récits des religions qui avant elle avaient tenté d’expliquer les origines du monde, et, ce faisant, elle jette une lumière unique et décisive sur la personne de Dieu dans son désir de rencontre avec l’humanité.

Le vide et l’informe soumis à rude épreuve

Le Dieu de Genèse a ceci d’unique qu’il remédie au chaos en se servant de la Parole. Là où Mardouk le dieu babylonien engage un combat sans merci contre le monstre aquatique Tiamat, le Dieu de la Bible parle et ordonne le chaos. Par la parole qui remplit soudain le silence primordial, au fil des jours, il donne forme et sens au chaos. Qu’existe-t-il de plus relationnel, de plus personnel, de plus intime que la parole ? Dieu aurait pu frapper à grands coups de baguette magique l’obscurité, le vide et l’informe. Il leur parle et tout s’ordonne. La voilà la grande originalité de la Bible. On y découvre un Dieu qui se lie au monde en risquant une parole.

Une autre originalité biblique est qu’à aucun moment Dieu ne se confond avec la matière qu’il créé et transforme. Le Dieu créateur est d’abord le Dieu qui ne se laisse pas enfermer. Il est le Dieu « distingué » que l’on ne peut confondre avec rien ni personne. L’humain n’est pas divin, même s’il peut se sentir originellement proche de Dieu. On ne trouvera pas davantage Dieu dans les arbres et les montagnes qu’au terme d’un voyage intérieur au fond de soi-même.

Le souffle de la parole

Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux (v.2). Dieu est aussi libre que l’air. Le Dieu de la Bible est comme le vent, insaisissable et imprévisible (Jean 3.8). L’homme religieux fabrique des temples, prescrit des rituels dans l’espoir de saisir et de prévoir (et surtout d’amadouer) le comportement divin. L’homme moderne, avec peut-être plus d’arrogance encore, s’affranchit de la tutelle du sacré pour se placer sous celle non moins aliénante de la raison. L’homme post-moderne recherche dans le domaine émotionnel et spirituel des clés de compréhension de lui-même, du monde et de Dieu.

Le Dieu créateur est Esprit. Son souffle (au sens de parole et de puissance agissante) donne vie à tout ce qu’il nomme. Le Dieu de la Genèse nous invite à cette aventure de vie dans une relation unique et personnelle au cours de laquelle chacun est invité à se laisser nommer, remplir et former, devenant une nouvelle créature, à l’image du chaos qui devint un jour notre monde. Amen !

 

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