« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur – Mat 6.21 » (Méditation de Genèse 13)
Tout au long de l’épopée du patriarche Abraham (11.26 à 25-18) apparaissent des personnages. Loth, le neveu (11.27), n’est pas des moindres. A l’origine, les chapitres 13, 18 et 19 ne formaient qu’un seul récit : Abraham et Loth. Le livre de la Genèse étant celui des grandes questions de l’existence, ce récit de la séparation de Loth et Abraham s’annonce très chargé de sens. Abraham et Loth représentent deux voies d’existence. Ils nous renvoient l’un comme l’autre aux rapports secrets que nous entretenons avec Dieu et avec Mammon (Matthieu 6.24)
La richesse comme source de conflits
Abraham et Loth sont devenus de gros exploitants éleveurs. La région où paissent leurs troupeaux, Béthel, est devenue trop petite. L’eau manque sans doute. Des conflits éclatent entre employés des deux entreprises. Le conflit patronal n’est pas loin.
Béthel, la maison de Dieu, porte bien son nom. Selon le professeur Chaine (Lectio Divina N°3, Le Livre de la Genèse ; 1948), de ce plateau rocheux la vue panoramique à 360° est exceptionnelle. C’est là que les deux amis se retrouvent pour trouver un arrangement. Ils se partagent le monde ! A l’orient, « on aperçoit l’oasis de Jéricho et les rives du Jourdain vertes comme des émeraudes serties dans l’or des sables et des grès brûlés par le soleil. Près des eaux, la végétation est tropicale… Spectacle étrange qui attire le regard. Des hauts de Bethel, où se tiennent Abraham et lot, on aurait dit l’Eden, le jardin de Dieu. » (Chaine, p.192). Pour Loth, sans la moindre hésitation, ce sera la plaine irriguée, la vie facile, le lait, le miel, l’argent du lait et du miel… Il choisit son destin : la plaine de Sodome où l’atmosphère enivrante des senteurs de jasmin est aussi chargée d’une autre présence… celle d’habitants aux mœurs violentes. Le choix de Loth est celui de l’immédiateté, de l’évidence, de la prospérité. Celui d’Abraham est tout autre.
La foi comme richesse
Premièrement Abraham a fait le choix d’offrir le choix à son neveu. Abraham se comporte ici en seigneur bédouin des hauts plateaux. Libre, généreux, confiant. Depuis qu’il s’est ouvert à l’inconnu de Dieu, toutes les plaines fertiles du monde ne sauraient apaiser sa soif de rencontre avec la voix inconnue et de découverte de la promesse. « Je te donne tout, à ta descendance pour toujours » (v.14).
A peine Loth s’est-il engouffré sur l’autoroute des choix faciles que Dieu apparaît à Abraham. Dans la solitude de Béthel, la voix se fait à nouveau entendre, claire, encourageante.
La scène ressemble étrangement à la précédente mais ce n’est plus Abraham qui fait faire le tour du propriétaire à Loth, c’est Dieu maintenant qui invite le patriarche à lever les yeux. Le Dieu d’Abraham ne donne pas le choix entre le nord et le sud, mais il ajoute l’est et l’ouest. C’est le Dieu qui donne tout (v.14). Abraham comme Loth lève les yeux : Loth, pour prendre ; Abraham pour rêver et croire. Loth est riche de ce qu’il voit, Abraham de ce qu’il entend. Cette parole l’invite dans un même mouvement à se souvenir et à espérer.
A Sichem, plus au nord, Dieu lui avait promis le pays où il se trouvait (12.7). A Béthel, il lui montre l’immensité de ce pays. On a l’impression d’un pays sans limite, du monde entier.
Dieu prononce alors une parole étonnante dans ce contexte de partage des terres entre oncle et neveu, nord et sud : je multiplierai ta descendance comme la poussière de la terre (v.16).
La poussière de la terre, c’est le sud, le pays aride, la mort, la part laissée par Loth. Mais c’est surtout l’image choisie par le Seigneur pour évoquer la descendance à venir. Les apparences sont trompeuses, les déserts d’aujourd’hui peuvent devenir les paradis espérés. Les grains de poussière sont comme le sable du bord de mer ou les étoiles du ciel : indénombrables ! Ces images renvoient à l’universel plus qu’au particulier, à l’humanité entière plus qu’au seul peuple d’Israël. La promesse de Dieu faite à Abraham est pour tous !
On est loin de la géopolitique d’épiciers (lourdement armés !) donnant aujourd’hui à la terre-promise-à-tous des allures de ghettos.
La célébration comme refuge
Abraham, après avoir été invité à lever les yeux est invité maintenant à se lever lui-même (v.17). Croire c’est bien, s’engager c’est mieux ! Peut-être manque-t-il d’audace en limitant son déplacement à Hébron, alors que Dieu l’invitait à sillonner le pays de long en large. Abraham ne s’est pas toujours comporté en grand seigneur. On le sait. Il va planter sa tente aux chênes de Mamré à Hébron où il se sédentarisera plus ou moins (voir le chapitre 20). C’est là qu’il attendra la réalisation de la promesse (quitte à lui donner un petit coup de pouce – chap 16) avant de redevenir lui-même poussière (chap. 25).
Une chose me frappe, ce voyage entre Béthel et Mamré est encadré par deux célébrations. Abraham ne fait pas que lever les yeux, il lève aussi les mains. Il invoque Dieu au début (13.4) et dresse un autel une fois arrivé à Mamré (13.18). Le culte est ainsi le lieu où l’homme peut déposer ses questions, ses angoisses, sa joie, ses doutes et demander à Dieu de s’en occuper. Loth, trop pressé de prendre possession, n’a pas pris le temps de la célébration. Elle est pourtant indispensable. Rendre un culte, c’est dire que nous ne sommes pas les maîtres de nos vies, que tout est à Dieu et que sans sa présence et sa promesse, nous sommes perdus.