Faites sautez les ponts ! (Méditation de Rom 7.1-13)
Pour mesurer le choc qu’a pu produire sur les lecteurs judéo-chrétiens de Paul des paroles telles que : « Maintenant nous sommes dégagés de la loi » (v.6) ou « Le péché m’a trompé par le commandement » (v.11), il faudrait les transposer au rapport que l’Eglise, et en particulier les protestants, entretiennent avec la Bible. C’est un peu comme si Paul nous disait que nous emprisonnons l’Esprit dans nos grilles de lecture ! Ces grilles sont nombreuses ; mais pour ce que j’en sais, la lecture fondamentaliste de la Bible est de loin le cachot le plus sombre. Alors que le Christ nous enseigne une vérité qui rend libre (Jean 8.31s), l’Evangile est sans cesse instrumentalisé comme référence d’enfermement, un carcan, une nouvelle loi. Dans ce chapitre 7, Paul nous met donc en garde contre une adoration idolâtre et sournoise de la lettre (selon 2 Co 3.6, elle tue alors que l’Esprit vivifie), qu’il s’agisse de l’ancienne ou de la nouvelle. Paul dénonce une dérive mortifère.
Bel et bien morts !
L’idée ici est la même qu’au chapitre précédent. Paul avait démontré que le baptême est une mort au travers de laquelle nous entrons personnellement dans la vie nouvelle à la suite du crucifié-ressuscité, Jésus-Christ. Paul barre ainsi toutes les voies de repli vers les vies anciennes, les vieilles identités. C’est comme s’il disait : « Vous avez fait sauter derrière vous les ponts vermoulus du péché et de la loi, regardez donc devant ! »
Paul prend soin de ne pas dénigrer la Loi (avec un grand L, elle désigne l’ancienne alliance) en tant que telle, mais la situe à sa juste place. Elle est le témoin annonciateur de l’Evangile et donc promesse de sa propre fin. Celui qui voudrait à nouveau se placer sous son autorité serait comme un insensé qui essaie de faire revivre un mort. Désespérant !
On veut du concret !
Pourquoi ces chemins vers l’arrière nous attirent-ils tant ? Mais parce qu’ils sont tangibles. Quand on ouvre un cercueil, on trouve toujours quelque chose dedans ! La loi avec ses mille prescriptions, c’est du concret ! Elle vous donne de l’occupation ; elle vous oblige à une pratique religieuse minutieuse. En même temps qu’elle nous épuise, elle épuise en nous l’attente de Dieu et l’espérance du salut. Avec la loi, on ne cherche plus, on court après la justice personnelle comme des lévriers après un lièvre artificiel. Suivre la loi, c’est un travail à plein temps très mal payé.
Les « ismes » de nos déroutes
En tant que chrétiens, sommes-nous si libres que nous le prétendons de cette tentation du repli ? Dans l’Eglise aujourd’hui, la Torah a changé de nom mais elle reste une maîtresse intraitable : légalisme, dogmatisme, rationalisme, illuminisme, activisme ? Et tous les « ismes » que l’on veut !
Le chemin que nous ouvre le Christ est un isthme sans isme ! Un chemin étroit aussi lumineux qu’insécurisant. A la différence du vieux cadavre de la Loi qui se déterre facilement, son cercueil est vide. Vide comme le tombeau de Pâques. Il nous invite à l’aventure d’une vie dont on ne connaît à peu près rien sinon qu’il faut se risquer à l’aventure. C’est une sorte de saut dans le vide, main dans la main avec Christ. Je ne sauterai jamais seul, mais avec lui je le ferai les yeux fermés.
Paul et Martin
Le christianisme, avant qu’il ne s’isme à son tour, est premièrement une vie sous le régime nouveau de l’Esprit (v.6). Nul mieux que Luther ne l’a traduit :
« Si quelqu’un demande ce que les chrétiens savent et enseignent, il ne faut répondre qu’une chose : c’est connaître le Christ envoyé par le Père. Celui qui n’est pas capable de dire cela, qui n’enseigne et ne promeut pas cela, qu’il ne se vante pas d’une science chrétienne. Même si quelqu’un savait tout ce qu’il y a sous le soleil, comment Dieu a créé le ciel et la terre et toutes les œuvres et tous les miracles qu’il a jamais accomplis, voire s’il connaissait et accomplissait les dix commandements, bref, s’il connaissait et savait faire autant que les anges, cela ne ferait pas encore un chrétien. »*
*Cité par Antoine Nouis, La lecture intrigante, p.66 ; Labor et Fides 2012