“Êtes-vous heureux ?” II

Matthieu 5.3-12

3 Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !

4 Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !

5 Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre !

6 Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés !

Heureux ceux qui sont compatissants, car ils obtiendront compassion !

8 Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !

9 Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu !

10 Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux!

11 Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte, qu’on vous persécute et qu’on répand faussement sur vous toutes sortes de méchancetés, à cause de moi. 12 Réjouissez-vous et soyez transportés d’allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux ; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

Il est toujours intéressant d’observer les débuts et les fins. La première et la dernière béatitude ont en commun le don du royaume des cieux aux pauvres en esprit et aux persécutés pour la justice. Entre ces deux clés principales pour entrer dans le royaume, 6 autres passes sont proposés : un beau trousseau de clés dont il faudrait apprendre à se servir.

Le manque comme marque du royaume

Nous en avons parlé dans la méditation précédente, le bonheur du royaume se reçoit au cœur de l’épreuve et non au bout d’une vie exemplaire ou rassasiée. Qui sont ces pauvres en esprit et ces persécutés pour la justice qui possèdent le royaume ? Ce sont d’abord ceux qui font l’expérience du manque. « Les pauvres en esprits, les persécutés à cause de la justice », sont ceux qui vivent en rupture avec les critères classiques du bonheur, richesse, santé, prospérité. Dieu règne pour ceux qui manquent, qui subissent et ne se suffisent pas à eux-mêmes, ceux qui tendent les mains.

L’expression « pauvres en esprit » est inconnue de la Bible. C’est ici la seule et unique occurrence. Intrigant… Qu’est-ce  donc que cette pauvreté d’esprit qui ouvre le royaume des cieux ?

Une vie de moine ?

L’expression peut être traduite par « pauvre par l’esprit » : c’est-à-dire « pauvre par la force de l’esprit ». On serait invités à choisir la pauvreté comme style de vie. Volontairement ! Le pauvre qui bave d’envie devant la richesse du riche, n’est pas un pauvre en esprit : c’est un riche fauché et souvent aigri ! “Le pauvre par la force de l’esprit” fait un vœu devant Dieu : il s’engage à l’esprit de pauvreté, c’est le cas de certains ordres religieux, comme la communauté des sœurs de Pomeyrol. Mais on pourrait aussi évoquer ceux qui font le choix de “la vie simple” cherchant à résister aux diktats du régime consumériste auquel notre société est soumise.

Être vivant ?

Mais l’expression peut être aussi comprise comme « pauvre en ce qui concerne l’esprit ». Il s’agit alors d’une pauvreté symbolique, ontologique. C’est se reconnaître incapable de concevoir par soi-même le monde et le bonheur. Cette pauvreté-là naît de la conscience de l’indigence, du manque personnel. J’ai besoin de l’autre pour prendre conscience de moi-même, pour me construire, me réaliser, que cet autre soit le prochain ou qu’il soit Dieu. Est pauvre alors celui qui vit, sans honte ni souffrance, et même joyeusement, dans la dépendance relationnelle ; comme savent le faire les enfants. Jésus les donne souvent en exemple comme ceux qui savent entrer dans le royaume de Dieu. Le royaume est donc pour ceux qui ont appris à creuser en eux un espace de rencontre dans lequel le règne de Dieu va pouvoir grandir et s’installer.

Les béatitudes, sport de haut niveau ou grâce ?

Entre l’entrée et la sortie, sont insérées six autres béatitudes. Il arrive que le lecteur se croit placé devant un catalogue de qualités morales à cocher, un programme de sanctification à mettre en oeuvre au long d’une vie.

Saint François d’Assise, par exemple, pensait qu’il fallait apprendre à les posséder, toutes, les unes après les autres.

« L’humilité » ? Je la tiens (surtout en public et de préférence le dimanche au culte). La « douceur » ? C’est un peu plus difficile, mais je finirai bien par l’avoir. La « pureté » ? J’y travaille… La « miséricorde » ? S’il n’y avait pas tous ces syriens collés aux vitres de ma voiture, j’avoue que ce serait plus simple !

La vie peut être envisagée ainsi, comme une chasse au trésor morale, une quête de trophées spirituels. Mais je doute que cette voie nous conduise ailleurs que dans le mur épais et rugueux de la culpabilité et du mensonge à soi-même. Il vaut mieux écouter ce que dit avec sagesse et lucidité Mgr Georges Khodr – qui vient cette semaine de recevoir la distinction, de Grand commandeur de l’ordre du Cèdre à l’âge de 93 ans. Ce théologien orthodoxe libanais écrit à propos des béatitudes des choses simples qui aident à mieux comprendre : « On ne peut isoler aucune béatitude. Ceux qui ont une âme de pauvre sont nécessairement les doux, les affamés et assoiffés de justice, les cœurs purs. »

Georges Khoder qui reste l’une des plus éminent figures du dialogue islamo-chrétien en Orient au 20e siècle, disait qu’il croyait davantage au dialogue du cœur qu’au dialogue de l’esprit. Je ne vous encourage donc pas à partir à la pêche aux béatitudes mais à rester à leur écoute. A les considérer toutes ensemble comme un espace de conversion au royaume des cieux, comme une grâce déjà offerte.

Une dernière pour la route ?

« Heureux les doux, ils hériteront la terre »

La terre ? Le foncier ? Il n’y a pas pire question pour faire disparaître toute forme de douceur ! Les partages des terres au moment des successions sont souvent terribles. Il n’y a qu’à voir comment se comportent ces derniers jours les colons de la Cisjordanie. Doux ? Pas vraiment. Sont-ils seulement héritiers ?

Qu’est-ce que cette douceur évangélique ? Rien à voir avec un caractère gentil et souriant. Pas de béa-attitude ici ! Jésus fut-il doux comme un agneau le jour où il sortit à coups de fouet les marchands du temple ou encore traita d’hypocrites les pharisiens ?

La douceur, n’est pas premièrement une qualité psychologique ou morale mais une posture vis-à-vis de l’existence. Dès l’instant où vous ne considérez plus la vie comme un combat à remporter, un examen à réussir mais comme une réalité à accueillir, vous êtes en train de devenir doux ! Cette béatitude de la douceur et de l’humilité nous apprend simplement à nous décentrer de nous-mêmes, à nous libérer du regard des autres, à ne plus ériger nos besoins en dogme universel, à sortir de la tyrannie de l’égoïsme, à lâcher prise finalement, pour faire l’expérience de la confiance. On devient doux en se laissant faire, pas en faisant !

Jésus, par son acceptation de la vie telle que Dieu la lui donne, nous montre le chemin de la douceur et de l’humilité. Il se confie en Dieu. Il n’a peur de rien, ni de personne.

La douceur n’est finalement pas si inaccessible… Confions-nous en Dieu et tout le reste, j’entends toutes les béatitudes, nous seront données en plus ! AMEN !

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