La foi dans les chaussettes (Méditation de Juges 6.36-40)
Juges 6.36-40
“36Gédéon dit à Dieu : « Tu as déclaré que tu te servirais de moi pour délivrer Israël. 37Eh bien, je vais étendre une toison de laine à l’endroit où l’on bat le blé. Si, durant la nuit, la rosée se dépose seulement sur la toison et que le sol tout autour reste sec, je serai convaincu que tu te serviras de moi pour délivrer Israël comme tu l’as affirmé. » 38Et c’est ce qui arriva. Le lendemain matin, Gédéon alla presser la toison et il en fit sortir assez de rosée pour remplir d’eau un bol. 39Il dit alors à Dieu : « Ne te mets pas en colère contre moi, si je te demande encore quelque chose. Je voudrais faire un dernier essai avec la toison : il faudrait, cette fois, que la toison seule soit sèche et qu’il y ait de la rosée sur le sol tout autour ! » 40Cette nuit-là, Dieu réalisa la demande de Gédéon : seule la toison resta sèche et le sol tout autour se couvrit de rosée.”
Il faudrait raconter toute l’histoire de Gédéon pour que s’éclaire l’épisode de la toison proposé aujourd’hui (Juges 6 à 8). Il faudrait tout reprendre depuis le début pour que soit mis en lumière l’histoire qui se trame derrière l’histoire de Gédéon…
Une histoire dans l’histoire
Ne nous y trompons pas, l’itinéraire de ce « vaillant guerrier » (6.12) qui a besoin que Dieu lui tienne la main à la moindre incertitude, l’épopée de ce sauveur qui « va avec la force qu’il a » sur son chemin de vie (6.14), les demandes sans cesse renouvelées de ce héros d’Israël de preuves de l’existence de Dieu (6.17 : le signe du feu ; 6.37 et 6.39 : la preuve de la toison ; 7.9-15 : le présage de la victoire), ne nous racontent pas seulement l’histoire de Gédéon. Comment d’ailleurs ces antiques aventures pourraient-elles encore m’intéresser, me bouleverser à ce point, si elles ne racontaient, sans en avoir l’air, ma propre histoire, si elles ne posaient mes propres questions et ne relevaient mes doutes ?
Gédéon, mon frère, petit monsieur de classe défavorisée (6.15), au petit moral (6.13), mal-croyant, orgueilleux (7.1-8), revanchard (8.7), infidèle (8.24-27), mais confessant (8.23) et heureux malgré tout (8.32), ton histoire est mon histoire…
Les toisons du doute
Par je ne sais quel tour de passe-passe, on a fait de cette mise à l’épreuve de Dieu un bel exemple de foi. « Mets Dieu à l’épreuve et tu connaîtras sa volonté ». Pour choisir son conjoint, sa prochaine mutation, savoir s’il faut aller faire les courses ou les reporter à demain (!), on étend des toisons à tour de bras ! Une parole de Dieu à Gédéon peut nous aider à comprendre. « Va avec cette force que tu as » lui avait été dit (6.14). De quelle force s’agit-il donc ? Sont-ce des qualités hors normes pour l’art de la guerre ? Une personnalité pleine de ressources ? Ou encore la force de Dieu ? Ce n’est pas dit. Mais au regard des épisodes évoqués plus haut, il n’est pas interdit de penser que cette « force », c’est son aptitude à douter en permanence ! Cette paradoxale « force du doute » l’accompagnera sur son chemin et présidera à ses gloires comme à ses échecs. Gédéon est la figure du mal-croyant que Dieu ne cesse de rencontrer. Plus il affermit ses convictions et plus il doute.
Douter de l’existence de Dieu n’est pas un luxe intellectuel que le croyant s’offre à peu de frais, de temps en temps, pour éprouver sa foi ! Douter, c’est ne plus savoir, c’est ne plus sentir ; c’est ne plus croire l’espace d’un doute.
« Où est passé ce Dieu qui nous a fait monter d’Egypte ? » (6.13). Comment blâmerions-nous Gédéon ? Au lieu de faire de l’épreuve de la toison une expérience spirituelle pour croyants avertis, pourquoi n’accepterions-nous pas de passer au creuset de l’épreuve du doute et là, peut-être, d’y rencontrer Dieu ?
« Jusques à quand Seigneur ? »
Hier soir avec Christine nous étions auprès de « notre » famille d’amis réfugiés syriens, des sunnites. Ils sont là tous les six, depuis deux ans, vivant dans un squat qui prend l’eau et le froid mais d’une propreté incroyable. Le papa se loue à la journée dans le BTP. Les enfants vendent de l’eau sur le bord de mer aux joggers. Nous sommes assis sur les tapis et soudain la maman témoigne : « L’Etat islamique a pris possession de notre village. Les femmes ont toutes été « bâchées » et les filles de 15 ans sont mariées de force. Les hommes qui sont surpris en train de fumer sont flagellés sur place par la police islamique. Même les morts sont dérangés ! Leurs tombes, ornées de bordures ou de plaques, sont passées à la masse parce que l’Etat islamique dit qu’il ne faut rien d’autre que de la terre. Si quelqu’un s’insurge, on lui coupe la tête. » Après avoir bu un verre ensemble, nous prenons congé. Nous ramenant à la voiture, la maman baisse la voix et nous confie qu’on vient de diagnostiquer un cancer à son mari. Il n’y a pas le moindre sou pour le soigner… évidemment !
Je suis revenu à la maison avec une foi de Gédéon, disons, dans les chaussettes. Je ne savais plus où je l’avais mise. Perdue l’espace d’un instant, me demandant où était Dieu dans ce vaste champ de ruines que l’Orient et notre monde sont en train de devenir ? Le doute comme ultime recours, dernière force jetée dans la bataille. J’aimerais tant qu’Il fasse quelque chose pour eux.