« Ça va encore durer longtemps, Seigneur ? » (Méditation du Psaume 13)

J’ai vu des gens supporter des situations qui me paraissaient insupportables et cela pendant de longues années (la violence ou l’humiliation dans la vie conjugale, le départ d’êtres aimés beaucoup trop tôt, une précarité sociale génératrice de mille problèmes au quotidien, etc.). Comment ont-ils fait ? Où ont-ils puisé leurs forces ?

Sans doute l’homme qui prie dans ce psaume 13 a-t-il lui aussi souffert plus que de raison. Mais ce qui fait la particularité de cette prière, c’est que cet homme estime qu’aujourd’hui, il n’en peut plus. La larme qu’il verse maintenant fait déborder son vase de souffrance. Le quadruple « Jusques à quand ? », vecteur de la complainte biblique, peut être rendu ici par : « ça va encore durer longtemps, Seigneur ? »

Le silence de Dieu  

Ce n’est pas l’épreuve que l’homme récuse ici. Peut-être même lui reconnaît-il quelque utilité. Ce qu’il n’admet plus, c’est sa durée. Pourquoi Dieu reste-t-il silencieux si longtemps ? Quel intérêt a-t-il à voir triompher l’impiété et disparaître le juste ? Si cet homme crie maintenant de toutes ses forces, ce n’est pas parce qu’il pense que Dieu est sourd mais que Dieu fait la sourde oreille. Le silence de Dieu lui est plus insupportable que l’épreuve elle-même !

Ce silence de Dieu est un thème récurrent dans les psaumes (74.10 ; 79.5 ; 89,49). Jusqu’à quand te détourneras-tu de moi (litt. cacheras-tu ta face v.2) ? C’est bien le regard de Dieu qui manque ici. Si l’on peut craindre parfois ce regard, il semble que le pire soit encore le détournement des yeux, l’indifférence, le silence. C’est le cri du Seigneur Jésus sur la croix, puisant ses ultimes paroles dans le psaume 22 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Face à ce silence, combien se sont détournés concluant, amers, à la non existence de Dieu. Ici, le poing dressé vers le ciel comme Job sur son tas de fumier, le psalmiste en révolte ne peut se résoudre à ce silence. Que Dieu dévoile sa face, qu’il pose un regard, fasse entendre le son de sa voix, agisse pour la justice et sa vie échappera immédiatement à la mort toute proche (v.4).

« Regarde-moi et fais briller mes yeux ! » (v.4)

Après l’abattement, voici le cri de l’invocation. Cela ne peut plus durer ! La souffrance est si vive que Dieu doit l’entendre maintenant. « Regarde-moi, réponds-moi Seigneur !». Il y a de la révolte dans cette prière. Le fidèle n’est pas appelé à subir avec résignation les épreuves. Il y a dans la Bible un droit à la révolte. Se révolter, c’est contester, c’est revendiquer dans la colère devant Dieu le droit à la justice, le droit à un regard. Beaucoup de croyants s’interdisent la révolte, pourtant ce psaume nous en donne les mots. J’aime ce regard éperdu, dont la vue est opacifiée par la souffrance qui cherche désespérément le visage de Dieu. Regarde-moi et fais briller mes yeux ! Ce regard de Dieu ne peut être qu’un regard d’amour. Un regard dur ou culpabilisateur ferait baisser les yeux… Dieu attend en silence que l’homme aille au bout de l’absurde, au bout de toutes ses illusions matérielles ou religieuses pour enfin se dévoiler à lui. Jusques à quand ? Jusqu’à ce que tu sois prêt ! Jusqu’à ce que ta vie se vide de tout ce qui l’encombre, de tout ce qui la pousse chaque jour un peu plus vers le séjour des morts. Jusqu’à ce que, à bout de souffle, tu implores le regard du Dieu de la grâce. Alors tes yeux se rempliront de lumière et couleront les larmes de la joie et tu chanteras pour le Seigneur car il t’aura fait du bien ! (v.6).

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