« A mes sœurs et frères d’Iraq et de Syrie» (Méditation du Psaume 22)

Elles peuvent gagner du terrain, elles ne gagneront pas les cœurs. Elles obtiendront des conversions, jamais elles ne règneront sur les consciences. Je pense évidemment à l’avancée des troupes de l’ « état islamique » en Iraq et en Syrie avec leur terrifiant drapeau noir, leurs sordides exécutions, la haine à « l’état pur ». Je songe aussi aux heures de ténèbres qui tombent sans prévenir sur nos vies instaurant, aussi vite qu’on éteint la lumière, le régime totalitaire de l’angoisse et du chagrin. Le Christ sur la croix a prié ce psaume 22. Cela fait déjà trois heures que la lumière s’est éteinte. Sa prière jaillit des ténèbres dans un cri déchirant que l’on écoute en silence et que l’on fait sien au bout de notre nuit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Prier avec Christ

Prier, c’est commencer par se taire et écouter. Ecouter le Christ prier ce psaume. C’est entendre chaque mot résonner dans sa bouche jusqu’à ce que l’on se sente prêt. Prêt à le dire avec lui et soudain, au plus sombre de nos heures, ce cri déchirant, son cri devenu nôtre, embrase la nuit. Il se produit alors un retournement. Dieu intervient contre la puissance des enfers.

L’enfer en face

Les ténèbres qui recouvrent la personne du Fils de Dieu en croix, c’est l’enfer qui avance à visage découvert, sûr de son triomphe. Tel Job, ivre de douleur et de rage, telles ces familles musulmanes, Yézidi et chrétiennes assistant impuissantes à l’entrée des anges de la mort dans leur village, Christ, pieds et poings liés, percés, se livre avec eux à l’angoisse. Il rejoint l’humanité souffrante depuis l’origine des temps, immense cortège des quatre coins du monde et dont le sang criera justice jusqu’à la fin des temps. Il n’y a qu’en enfer où chiens, lions et buffles se mettent d’accord contre leurs victimes (21-22). Christ descend comme ultime victime dans la gueule grande ouverte de l’enfer. C’est à cet instant précis, à l’heure où le monde et l’enfer ne forment plus qu’un, qu’il s’écrie d’une voix forte : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mat 27.46).

La présence invisible

Dans l’opacité du rideau de fumée que les ténèbres installent autour de la croix, il y a la présence de Dieu. Il se tient là, au milieu des ténèbres. Présence invisible, insaisissable, incompréhensible, pourtant chantée autrefois par les psaumes : « Il fait des ténèbres sa retraite » (Ps 18.12). Ailleurs, voici la foi et la folie qui s’unissent pour chanter : « Même les ténèbres ne sont pas ténébreuses pour toi, et la nuit devient lumineuse comme le jour : les ténèbres sont comme la lumière ! » (Ps139.12)

Seul le Fils a suffisamment de foi pour discerner la présence mystérieuse du Père au pied de la croix où il agonise. Cette vision lui inspire la force de prier autrement : « Ah sauve-moi ! Tu m’as répondu… » (v.22). Soudain, point de basculement du psaume que rien ne présageait, la plainte s’efface et la louange paraît. Sans cause apparente on passe des larmes à la joie. Telle est la foi, inexplicable, injustifiable : elle n’a d’autre fondement que le secret qui préside à sa naissance.

Je vais redire ton Nom (v.23)

Le paradoxe le plus merveilleux, écrira Paul Beauchamp (Psaumes de jour et de nuit), c’est que l’Unique (Christ) atteignant le moment unique de la limite, ne dit rien d’unique. Il dit ce qui est à tous. Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? ».

C’est ici que s’ouvre un espace de communion et de partage universel. La foi en Dieu n’est pas un ésotérisme, une connaissance, une mystique réservés à quelques initiés. Si elle naît d’une rencontre indicible, elle se donne dans le langage du plus simple des hommes.

Que fait notre psalmiste libéré de l’angoisse ? « Je vais redire ton nom à mes frères et te louer en pleine assemblée » (v.23) L’assemblée qui se moquait de lui à l’instant ! Aussi vite que le nouveau-né se tourne vers sa mère (v.10), le nouveau-né en Christ s’empresse vers ses frères et partage sa joie avec eux (vs 24-32)

Face aux enfers, pour vous, la face de Dieu !

J’aimerais vous dire combien je pense à vous sœurs et frères d’Iraq, de Syrie, déplacés vers nulle part, réfugiés je ne sais où. Chaque jour, je demande à Dieu de s’approcher de vous au plus profond des ténèbres qui vous enveloppent aujourd’hui. Comme Il s’est approché de son Fils agonisant, il s’approche de vous maintenant, habitants d’Aïn Al Arab, de Mossoul, de Karakoch. Il ne rejette ni ne réprouve un malheureux dans la misère ; il ne lui cache pas sa face (v.25). Face aux enfers, pour vous la face de Dieu !

psaume 22
“Le cri” d’Edvard Munch

 

 

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