Une fenêtre ouverte sur la grâce (Méditation de Genèse 6.17-7.24)

Nous voici placés aujourd’hui devant un autre grand récit fondateur. Comme Genèse 1 et 2 nous racontaient la création des cieux et de la terre, sous des angles différents et dans l’unique intention d’exposer le désir de rencontre entre Dieu et l’humanité, le récit du déluge nous raconte la dé-création du monde comme réponse-antidote à un autre déluge, celui du mal qui a rempli la terre. Nous laisserons de côté dans cette méditation l’imbrication des deux récits du déluge en un seul (chapitres 6-8) et l’histoire de leurs sources propres. Il aurait été intéressant aussi de montrer comment le récit biblique a été formé à partir d’une tradition populaire plus ancienne provenant de Chaldée (Assyrie) et son originalité propre. Nous nous en tiendrons ici à quelques ouvertures montrant en quoi le Dieu du déluge reste, tout comme le Dieu de la création et celui de toute la Bible, le Dieu qui ouvre des fenêtres sur l’avenir.

arche 1
Illustration d’Albert de Pury (extrait de “Oh Pardon !” ; Labor et Fides 2007)

Dire Dieu et le monde avec les moyens du bord

Le récit du déluge est ancien (VII ou VIIIe avant JC). On peut s’en apercevoir à la façon dont Dieu est mis en scène. Il pense et agit comme le ferait un homme. On le sent débordé par la vitesse avec laquelle le mal se répand sur la terre (6.3). Il se repent d’avoir créé l’humanité (6.5-7) ; il semble improviser une solution pour en finir (6.5, 12) ; il découvre, émerveillé, Noé comme seul juste (6.8) ; il ferme la porte du bateau (7.16b) ; il se souvient de Noé (8.1). Il appelle Noé à sortir de l’arche (8.16), etc. Ces attitudes très humaines (anthropomorphismes) pour décrire la pensée et l’action  de Dieu ne doivent pas tromper le lecteur moderne. Les auteurs de la haute antiquité n’avaient pas grandes capacités d’abstraction. De tout temps, on a fait de la théologie avec les moyens du bord. Mais il est bien clair que le récit du déluge ne raconte pas l’histoire. Il véhicule, sur la base d’un événement commun aux peuplades de cette région du monde (les grandes inondations) et d’un matériau oral et littéraire commun, un enseignement religieux original, une théologie unique, dont il reste à formuler le message.

Le mal est le seul déluge historique

Dieu ne s’est jamais repenti ! Tel un apprenti sorcier débordé par le génie et l’inconstance de sa propre créature, un docteur Frankenstein des origines, Dieu aurait soudain paniqué trouvant dans une solution finale abominable une sortie de crise ? Une nouvelle fois, le langage anthropomorphique ne doit pas tromper. Un déluge détruit le monde tel que Dieu l’a toujours voulu et défendu. Mais le plus grand génocide de l’histoire, le déluge des déluges, c’est l’aptitude de l’homme à faire du mal à son prochain. Voilà ce qui submerge la terre depuis la nuit des temps. C’est en ce sens que le récit biblique est fondateur. Enfin, comme par ailleurs Dieu reste pour les auteurs israélites du récit un Dieu théologiquement souverain, il fallait nécessairement l’installer aux commandes de l’ensemble de la scène. Dans la Bible, ce ne sont pas les héros qui fabriquent l’histoire, c’est Dieu seul.

Vers le monde nouveau

Ce qu’il y a d’original dans le récit biblique, c’est donc premièrement, l’affirmation que l’homme conduit le monde à sa destruction. Le monde n’est pas le théâtre d’échauffourées entre dieux et démons, il est notre monde et devient ce que nous en faisons. Le récit biblique du déluge rappelle en premier lieu l’homme à sa responsabilité de gérant de la planète.

Il développe aussi l’idée que Dieu vient toujours au secours des situations les plus désespérées. Noé est le père du monde nouveau, comme Adam l’a été de l’ancien, Dieu ayant fait alliance avec eux et leurs descendances, comme il fera alliance avec Abraham et sa descendance, avec Moïse, David et le peuple d’Israël, posant à chaque fois un signe (la vie, l’arc-en-ciel, la circoncision, la loi, le temple). Dieu passe derrière ses garnements pour réparer la casse et ouvrir une fenêtre sur l’avenir.

On prend les mêmes et on recommence…

Pourquoi donc Dieu demande-t-il l’embarquement d’animaux impurs (7.8) ? Quitte à recommencer, pourquoi prendre un tel risque ? Pourquoi Dieu laisse-t-il embarquer les fils de Noé dont le plus jeune, Cham, enfreindra une loi antique du code de la famille (9.21). Et pourquoi Noé le juste se prend-il une cuite aussi sévère en arrivant ? Avec cette arche de bric et de broc, comment Dieu pouvait-il espérer un changement ? Sa « nouvelle création » est de toute évidence porteuse des germes de discorde et de violence qui avait défiguré le monde antédiluvien et qui ne tarderont pas à pourrir le nouveau !

Embarquement !

Il faut comprendre ici que Dieu ne cesse d’accompagner le monde tel qu’il est. L’arche n’est pas le lieu d’une re-création, mais plutôt celui d’un nouveau départ, de tous les nouveaux départs.

Observons ce geste magnifique de Dieu fermant la porte de l’arche une fois que tout le monde est entré (v.16b). Ce geste protecteur fait penser à la confection des vêtements d’Adam et Eve au lendemain de leur désobéissance. Dieu faisant monter les impurs que nous sommes tous dans cette arche d’espérance, c’est le message de la Bible. Dieu ne désespère jamais de nous. Il ne nous rejette pas malgré toutes les raisons qu’il aurait de le faire. Dieu dépose les armes du châtiment et ouvre pour chacun de nous une fenêtre sur un avenir tout autre, celui d’une humanité nouvelle. Dieu nous parle désormais avec la colombe de la paix et l’arc-en-ciel de la non-violence. Un nouveau départ pour toi mon frère, pour toi ma sœur. Aujourd’hui, Dieu nous parle en Jésus-Christ !

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