« Il nous faut des boulangers ! » (Méditation Matthieu 14.14-21)

C’est le récit de la multiplication des pains et des poissons. Il y a six multiplications des pains pour quatre évangiles : deux chez Matthieu, deux chez Marc, une chez Luc et enfin une chez Jean. C’est pour dire toute l’importance dans la Bible du thème de l’abondance, de la satiété, comme réponse au manque fondamental de l’homme.

Ça sent bon la Bible

On pense premièrement au récit de la manne dans le désert, donnée par Dieu chaque matin au peuple d’Israël (Exode 16). On pense aussi à ce merveilleux récit du deuxième livre des Rois (2.42 à 44) où le prophète Élisée nourrit une foule de 100 personnes avec très peu de farine. D’emblée Jésus est présenté comme plus grand que Moïse et Elisée réunis !

Le pain et le poisson séché, c’est le repas ordinaire du pauvre sur les bords du lac de Galilée. Ce récit présente Jésus comme un messie venant conduire son peuple des déserts de la privation vers le royaume de la satiété, de la pauvreté à l’abondance.

Un regard qui change tout

Le regard que Jésus porte sur la foule est plein d’amour « Il fut pris de pitié pour eux. » (v. 14) On retrouve ce même regard déchirant au chapitre 9, verset 36 : « Voyant les foules, il fut pris de pitié pour elles parce qu’elles étaient harassées et prostrées comme des brebis qui n’ont pas de berger »(TOB)

Jésus proclamant la bonne nouvelle du Royaume de Dieu n’a pas seulement le souci des âmes. Évangéliser, ce n’est pas limiter notre action à la conversion de l’esprit des gens, mais également prendre en compte leurs problèmes sociaux. Ce qui harrasse les foules, c’est le travail trop pénible ; ce qui abat les foules, c’est le manque du nécessaire au quotidien pour nourrir leurs familles, c’est le manque de moyens pour soulager la souffrance des malades. Ici Jésus parle peu et se fait tour à tour médecin et boulanger. Il guérit (v.14) et nourrit.

Du pain d’abord

Même si on est tenté de spiritualiser les récits des Évangiles, il faut bien reconnaître ici que Jésus comble la faim physique des hommes au moins tout autant que spirituelle. La limite entre les deux sphères est-elle d’ailleurs toujours aussi facile à identifier ?

Au risque de me mettre en chômage professionnel, je dirais que notre monde aujourd’hui a besoin de médecins, de boulangers, besoin de formateurs, pas seulement de prédicateurs !

La preuve par 12

Notons les chiffres présentés dans le récit : 5 pains, 2 poissons, 12 paniers, 5000 personnes rassasiées… Faut-il y voir une symbolique ? Certainement mais avec tout le risque que ce genre d’exercice présuppose ! Sans verser dans la gématrie, on peut dire que l’accent est placé sur l’écart entre le peu de ressources et l’immensité des besoins. 5 pains pour près de 10 000 personnes (si l’on compte les femmes et les enfants) ; 2 poissons au départ et une foule rassasiée à l’arrivée.

Quant aux 12 paniers qui restent, ils évoquent bien évidemment la manne quotidiennement distribuée aux douze tribus d’Israël dans le désert. Ces 12 paniers représentent le peuple d’Israël nourri de la grâce de Dieu.

Remarquons une chose intéressante… Dans la seconde multiplication des pains, que l’on trouve deux chapitres plus loin en 16.32-38, il reste à la fin de la distribution 7 paniers et non pas 12 comme dans notre récit.

Il faut dire qu’entre les deux récits, Jésus aura fait la rencontre de la femme cananéenne (la libanaise et donc païenne). Au cours de cet entretien, il aura mesuré toute l’étendue du salut qu’il vient accomplir. Ce salut n’est plus réservé au seul peuple d’Israël mais bien à tous les hommes de toutes les nations. Le chiffre 7 (dans les sept paniers) évoque cette fois-ci la totalité des nations (Comme les 70 peuples de la terre de Genèse 10 ; ou bien encore les 7 diacres d’Actes 6, nommés au service des tables pour un traitement d’égalité entre chrétiens d’origine juive et nouveaux convertis du paganisme).

Comme si de rien n’était

Mais revenons à notre récit de Matthieu 14. Cette multiplication des pains m’apparaît comme un miracle “tout en douceur”, comme si de rien n’était. La peur du manque se transforme lentement et joyeusement en partage de l’abondance. C’est comme si le message était : « Allez ! Lancez-vous, donnez-leur vous-mêmes à manger, le reste suivra ! » Il ne se passe rien d’extraordinaire. Des gestes et des paroles simples sont décrits : on s’assoit, on rend grâce et on mange ; seul le résultat final est extraordinaire, mais pas l’action elle-même.

Face aux besoins du monde, nous serions tentés de baisser les bras, de faire comme ces disciples pessimistes et défaitistes : « Renvoie donc les foules » (v.15)

Croire et servir

Mais sur un simple ordre de Jésus nous sommes invités à nous mettre au travail. À un ordre simple, il faut une obéissance simple. Quand Jésus me dit : “Donne-leur toi-même à manger”, je dois répondre : “Oui Seigneur, ce que j’ai, je vais le partager avec ceux qui n’ont pas. Et toi tu pourvoiras à tout en chemin ! »

Les 12 paniers qui restent sont emportés… Où ça ? Matthieu ici ouvre une nouvelle problématique sans réponse. Que va-t-on faire des restes ? Qui va en profiter ? C’est au lecteur de répondre. Les foules ont mangé, et toi lecteur que penses-tu faire maintenant ? N’est-ce pas à toi d’emporter ces douze paniers pour les distribuer à ceux qui ont faim ?

Ce récit nous appelle à partager ce qui reste (ce qui pour nous est la totalité !). Ce partage va se vivre dans deux dimensions différentes. Dans l’entre-nous, selon les instructions de Jésus à rompre le pain en mémoire de lui et dans l’ouverture à ceux qui ont faim.

Les ressemblances entre ce récit de la multiplication des pains et le repas de la Cène sont trop frappantes pour être fortuites (en Mat 14 et Mat 16, de la même façon, Jésus prend le (ou les) pain, prononce la bénédiction et le donne aux disciples)

Ces 12 paniers rappellent à la fois l’impératif de la communion fraternelle et l’urgence de l’entraide. Toute la vocation de l’Eglise est contenue dans ces 12 paniers : Il faut croire et il faut servir !

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