La preuve par trois : Eglise, Collège et Dispensaire (deuxième épisode)
Pendant l’entre-deux guerres, le protestantisme français va progressivement s’affirmer tant dans sa présence spirituelle que dans ses œuvres.
La mission du Colonel Gothié
Après la mission exploratoire « Eccard-Bianquis-Puech » (cf. épisode n°1) qui avait fait un travail important d’écoute, de réflexion et d’explication, il convenait de passer aux actes et d’investir les locaux dévolus dans le cadre du Traite de Versailles. Quoi de mieux que de confier cette nouvelle mission à un militaire tel que le colonel Gothié pour faire reculer l’armée française qui avait pris possession des lieux !
C’est donc avec les « pleins pouvoirs », toutefois dans le respect des « limites de l’article 438 » du Traité de Versailles, que ce dernier reçoit du Comité de l’Association des œuvres au Liban (désignation utilisée à l’époque pour désigner l’actuel organe dirigeant du Collège protestant, le PPFL – Présence Protestante Française au Liban) et qu’il débarquera à Beyrouth le 23 novembre 1926.
Une fois sur place, il pourra se rendre compte de l’importance des travaux réalisés par l’Armée sur le terrain de l’hôpital St Jean, « bourré de constructions du plus mauvais effet».
Et c’est de pied ferme qu’il entrera dans d’âpres négociations avec les autorités militaires pour récupérer l’usage tant de l’hôpital Saint Jean que la « Maison des diaconesses ». L’Armée revendiquait à la fois une expropriation générale des protestants et un prix de loyer convenable là où elle resterait. La discussion sera aussi serrée avec les services de la municipalité et l’Etat libanais pour la partie de l’immeuble des diaconesses occupé par le Musée national et le service des Antiquités .
Par ailleurs il s’emploiera à de nombreuses démarches visant à rassurer, expliquer. Il rencontrera notamment les pères jésuites de l’université Saint-Joseph, leur précisant que « les œuvres protestantes françaises avaient vocation à compléter les leurs et non à les concurrencer, de façon à travailler dans le même but, celui d’étendre le règne de Dieu et le prestige de la France. »
Le Colonel sera reçu « admirablement » par le doyen Dodge, directeur de l’Université américaine (A.U.B) insistant sur la modicité des ressources protestantes par rapport aux leurs, ce dernier lui répondant que « même avec des ressources limitées, il y avait moyen de faire du bien ».
Il fut également aimablement reçu par les personnalités officielles libanaises : « tous me reçurent avec la tasse de café turc traditionnelle et ils me promirent leur concours le plus reconnaissant ».
Enfin, à l’égal de la mission du sénateur Eccard, l’officier français, rencontre les protestants libanais qui « lui souhaitèrent la bienvenue et le chargèrent d’exprimer aux Eglises de France leur reconnaissance pour ce qui allait être fait par le protestantisme français pour leur compatriotes. »
Le dispensaire ophtalmologique
Une fois les locaux des diaconesses allemandes récupérés, remis en état et aménagés, le dispensaire, sous la responsabilité de Laure Sureau, sera inauguré le 19 janvier 1927. Ce sera un dispensaire ophtalmologique sur la suggestion d’une Melle Boustani qui se déclare « scandalisée que tant d’aveugles errent dans les rues et tant d’enfants soient menacés de cécité sans que rien ne soit fait. »
Le colonel Gothié dans son allocution d’inauguration rappelle prudemment que « nous ne venons pas ici pour concurrencer les œuvres magnifiques françaises et étrangères que nous admirons tous » , mais il précise tout de même que « nous venons travailler pour servir Dieu, la France et l’Humanité » pour conclure dans une belle envolée :
« Nous avons pris pour devise les magnifiques paroles prononcées par notre divin sauveur Jésus-Christ, alors qu’il parcourait votre beau pays : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous soulagerais ». C’est là l’idéal que nous essaierons de réaliser. »
Le Collège de Jeunes filles (Première mouture du Collège Protestant Français)
L’ouverture d’un « établissement d’instruction et pensionnat de jeunes filles » est prudemment reportée à la rentrée d’automne 1927. C’est après bien des tergiversations qu’il est décidé de « répondre aux vœux des milieux libanais qui désiraient que nous prenions la succession du collège de jeunes filles des Diaconesses » .Certes l’offre scolaire est diversifiée voir abondante mais jugée insuffisante. Elle comprend « les couvents » – il faut comprendre les écoles tenues par des religieuses catholiques, le Lycée français de la Mission laïque (auquel il est reproché la mixité) et enfin les écoles anglophones et autres écoles confessionnelles.
Un « créneau » s’offre donc aux protestants français entre crainte de prosélytisme que l’on reproche aux couvents dans leur accueil des enfants non catholiques et le rejet du religieux propre à la Mission laïque qu’on accuse d’être « une école sans Dieu, donc immorale. »
Certaines écoles verront même avec faveur une institution susceptible de compléter le cursus de leurs élèves dans les grandes classes menant au Baccalauréat français. Ce fut le cas en particuliers de l’Alliance israélite et les écoles grecques-orthodoxes.
Une « directrice très qualifiée » et … protestante, recherchée au cours de l’été 1927 fut trouvée en la personne de Catherine Jourdan et la presse beyrouthine put annoncer : « La Fédération protestante de France va rouvrir (sic) en octobre, 2 rue Chateaubriand l’école supérieure et le pensionnat de jeune fille qui fonctionnaient avant la guerre sous la direction des Diaconesses de Kaiserswerth dans le même immeuble. »
Si l’ouverture du Collège est intervenue dès la rentrée d’octobre 1927, c’est le 27 décembre que le pasteur Brès en tant que représentant de l’Association des œuvres au Liban obtiendra de Charles Debbas, président du Liban, l’autorisation officielle d’ouverture de l’établissement.
Un mois après la rentrée, la directrice annonce son départ…. Elle sera remplacée le 13 septembre 1928 par Madame Louise Wegmann qui allait en 37 années de service donner son essor, sa colonne vertébrale et son âme au Collège protestant français.
L’Eglise protestante française de Beyrouth
Dans son rapport, le sénateur Eccard rappelle une de ses orientations présidant à la création d’une paroisse protestante française. Il la voulait « ouverte aux coreligionnaires d’autres nations, ainsi qu’au Syriens » (terme générique à l’époque incluant les libanais) et arméniens protestants ou attirés vers le protestantisme.
Cependant aux yeux des Syriens et Libanais, la France est assimilée au catholicisme comme les Anglais et Américains le sont au protestantisme et le sénateur avait toutes les peines pour faire comprendre à ses interlocuteurs en quoi consistait le protestantisme français !
En fait, très vite se pose la question de la finalité de la présence protestante au Liban tiraillée au sein du comité parisien entre les tendances religieuse, patriotique et laïque… Le pasteur Bianquis, ancien directeur de la Société des missions évangéliques de Paris (actuel Défap), y voit essentiellement une œuvre religieuse alors que le sénateur plaide en faveur d’une œuvre religieuse et française.
Au final un consensus se dégage puisque le pasteur Bianquis lui-même conclut que le Comité renonce à une évangélisation « directe des populations musulmanes, juives, païennes (druzes, alaouites etc. sic). » Reste que les protestants français au Levant seront d’utiles intercesseurs entre les protestantismes locaux, missions anglo-saxonnes et églises autochtones.
En novembre 1918, quand les armées ottomanes se retirent du Levant, il n’existe aucune représentation protestante française dans la région. C’est avec l’arrivée des troupes françaises, que débarque pour la première fois un pasteur français au Liban : le pasteur Gout d’abord, remplacé à la fin 1921 par le pasteur Maurice Brès.
Cependant tous deux sont aumôniers de l’Armée du Levant et se doivent en premier à leurs ouailles militaires repartis sur le théâtre des opérations. Maurice Brès, néanmoins va trouver le temps de se consacrer à « la petite-très petite- paroisse de Beyrouth » avec les limites que supposent la multiplicité de ses tâches, comme le remarquera, non sans dépit, plus tard le pasteur Bianquis.
Nous verrons dans le prochain épisode comment dans l’entre-deux-guerres, les œuvres protestantes françaises vont pouvoir prendre de l’ampleur.
Georges KREBS, administrateur PPFL