Nous’s Letter N°1 (fin 2013)
Le parfait missionnaire
« Je dois bien l’avouer, le genre « New’s letter » avec la photo de la jolie famille missionnaire n’est pas vraiment notre truc. Le genre en question oblige à verser dans un factuel plat, triomphaliste ou dramatique, valorisant la consécration du missionnaire ou apitoyant le lecteur sur ses terribles conditions de service. La « New’s letter » entretient, dans la représentation que je m’en fais, le mythe du parfait missionnaire. L’analyse critique, la réflexion missiologique ou simplement le naturel s’y frayent difficilement des chemins. A défaut, on vous propose une « Nous’s letter » (la lettre de nouvelles de nous). C’est parti !
La foudre et la poudre
Christine, Sophie et moi sommes tombés amoureux de la même « personne » en même temps : Beyrouth ! Un coup de foudre si j’ose dire… Une semaine après notre arrivée commençait une série d’attentats à la voiture piégée dans le sud de la capitale d’abord puis sur Tripoli au Nord, occasionnant près d’une centaine de morts. Le pays n’avait pas connu ce genre de drames depuis la fin de la guerre en 1990. Nous observions autour de nous deux types de comportements. La bunkérisation (plus de courses en ville, plus de sorties, signalisation de la moindre voiture garée plus de 10mn au même endroit…) ou la vie au quotidien, comme si de rien n’était. Nous avons choisi la seconde option, partant du principe qu’aucune des personnes ayant sauté dans les attentats de Roueiss et Tripoli ne l’avait pas davantage cherché que celles qui étaient toujours en vie. Le conseil le plus étonnant que nous ayons reçu de France était : « Faites attention ! ». Le terrorisme ce n’est pas une guerre où deux camps bien distincts s’affrontent. C’est obscur, sous-terrain, ça frappe où ça veut, quand ça veut, pour des raisons impénétrables. C’est par définition imprévisible. A ce compte-là, soit tu rentres, soit tu vis. Et puis, très égoïstement, nous nous sommes dit que si Dieu nous voulait ici, ce n’était pas pour que nous sautions tout de suite !
Promesses de mariage ?
Mais je parlais d’amour pas de mort ! Oui nous sommes tombés amoureux de cette ville particulièrement laide, il faut le dire. Un littoral horriblement pollué coiffé d’un gigantesque tas de béton. Sur le bord de mer, une première rangée de super gratte-ciels, fruits de la reconstruction « Hariri » dans le genre folie des grandeurs ; au second plan, des immeubles partout dont quelques un, grêlés d’impacts de balles, témoignent encore de la violence des 15 années de combats de rues. Mais dans chacune de ces rues, des arbres, des gens, des artisans comme on n’en voit plus chez nous, des odeurs de café torréfié et moulu sur place, un trafic monstre où chacun revendique en scooter ou en Mercedes la priorité. Un rapport à la loi « très sudiste » (les marseillais comprendront!). Bref tous les ingrédients étaient réunis pour nous piéger dès le premier contact. Beyrouth est une ville qu’on a envie de respecter, de soigner, d’accompagner, d’écouter. Vous voyez, cela ressemble à un échange de promesses !
Bienvenus au Liban !
Nous avons passé les quatre premiers mois à courir derrière nos permis de séjour. Pour la première fois de ma vie je faisais l’expérience que font tant et tant de familles d’étrangers en France : Etre baladé d’un bureau à l’autre, faire la queue, espérer rencontrer un officier sympa parlant ta langue, rentrer chez soi bredouille, revenir le lendemain pour rien… Mais peut-on espérer connaître un pays sans passer à la moulinette de ses rouages administratifs ?
Une Eglise comme on n’en voit jamais
Nous avons découvert l’Eglise et le Collège, les deux réalités historiques de la présence protestante française au Liban. Magnifiques rencontres ! L’Eglise rassemble des gens d’origines et d’histoires très différentes. Quelques expatriés, une quinzaine de personnes libanaises ou résidentes depuis longtemps et un groupe important de malgaches, essentiellement des femmes employées de maison, protestantes ou non et francophones. Le statut de ces personnes « domestic workers » au Liban a été calqué sur le « kalafa system » des pays du Golfe, qu’on pourrait qualifier de néo-esclavagiste. Provenant d’Afrique, du Sri-Lanka, des Philippines ou de Madagascar, ces femmes acceptent des conditions de vies quelque fois inhumaines. Leur unique jour de congés par semaine, quand il est accordé, est entièrement consacré à l’Eglise. Elles s’y retrouvent, forment une chorale qui donne vie et joie à la communauté. L’Eglise protestante française de Beyrouth est aujourd’hui une Eglise mosaïque. Il faut bien reconnaître que sans la venue de ces malgaches, l’Eglise rassemblerait aujourd’hui moins d’une dizaine de fidèles à ses cultes ordinaires.
Comme elles n’ont pas le droit de quitter leur famille « d’accueil » en semaine, nous avons mis au point deux rendez-vous bibliques par semaine grâce à l’application smartphone « WhatsApp ». Deux méditations par semaine postée par le pasteur ; s’en suit une vague de réactions diverses allant de la réflexion théologique, à la prière ou au cri de joie « Merci Seigneur ! » Déjà trente-cinq abonnés en une semaine de diffusion.
Le Collège Protestant Français
Christine est responsable de la coordination et prévention santé au CPF. C’est un établissement comme on n’en voit pas chez nous. Le prix des études offre la possibilité d’un accueil personnalisé qui génère au sein de l’établissement une ambiance très favorable aux études. Le niveau est celui de l’excellence. Il faut aussi relever la présence d’un « comité solidarité » qui incite les classes à développer des projets d’entraide. Le flux incessant de réfugiés syriens a positionné de façon évidente l’orientation des actions de l’année. Cet apprentissage du partage et de la solidarité manque cruellement à nos collèges et lycées en France. Il représente pourtant à mes yeux un remède efficace à la crise que traverse l’éducation de nos chers enfants. Nous sommes très contents que Sophie puisse s’engager dans des programmes de collectes de vêtements ou de denrées.
Nous découvrons peu à peu les enjeux de notre mission. L’une des clés de la réussite tiendra dans notre capacité à nous laisser surprendre. Les besoins véritables, les priorités sont rarement celles que l’on emporte avec soi du pays d’origine. Elles se dévoilent chemin faisant dans l’écoute et le compagnonnage de ceux qui nous sont confiés. Nous comptons sur le Seigneur, appuyés sur nos bases arrière par la prière des sœurs de la communauté de Pomeyrol et nous l’espérons aussi des vôtres. Nous vous souhaitons de belles histoires d’amour dans les pays où vous vous trouvez.
Pierre et Christine Lacoste