“Oussama, le voyageur du oud” (17 juin 2018)
Ce Dimanche 17 juin 2018 à 18h30, le jardin de la rue de Damas atteignait presque sa capacité d’accueil maximale. Un premier “concert -test” pour savoir enfin si le public franchirait les 30 mètres qui séparent la rue de Damas du jardin, tout au fond, et qui vous oblige à traverser en suivant l’allée centrale le cimetière protestant français. Une traversée vers un lieu de vie. Ils l’ont fait ! Familles, enfants, amis, inconnus aux visages intrigués, 90 adultes et une dizaine d’enfants se retrouvèrent ce soir-là au jardin pour le concert d’Oussama Abdel Fatah. Un son excellent assuré par Jean Gibran et “Sound People”.
Françoise Toscane, enseignante au CPF, a choisi des mots forts pour vous raconter…
“Le cimetière protestant des étrangers est sur la route mythique de Damas, qui a séparé, fut un temps, l’ouest et l’est de Beyrouth. Dans ce lieu de paix, adossée au mur, une tendre pelouse invite au repos et à la méditation. Dimanche, Pierre Lacoste, le pasteur, nous invite à un concert de Oud. Oussama Abdel Fatah, Le musicien, joue une musique aux rythmes hypnotiques et vertigineux. Je ferme les yeux. J’imagine Zyriab, ce musicien de Oud chassé d’Arabie et parti se réfugier à Cordoue. Je suis dans le désert. Je vois aussi Laurence d’Arabie et son enchantement. Je sens l’odeur du thé, qui se mêle au flamenco d’Andalousie. Il y a le bruit des chameaux et les pas des chameliers qui s’enfoncent dans le sable profond. On marche dans le désert au portes de l’orient vers Cordoue la grande. Tout autour, c’est calme, les bébés ne bougent pas, ils écoutent, eux aussi emportés par la mélodie. Le musicien joue, chante et regarde sa petite fille de quelques mois qui bouge dans les bras de sa maman. Pour qui joue t’il ? Les enfants, attentifs, s’agitent peu à peu et filent dans le cimetière au milieu des tombes. Ils s’amusent et c’est simple. Le public entend quelques rires à peine étouffés, et quelques « chut ! » des parents. Les enfants courent entre les tombes, jouent, ramassent une pomme de pin, la lancent. Je les regarde et tout à coup, je suis envahie d’émotion. Un instant de bonheur : ces enfants ont peut-être tout compris en gambadant ainsi en liberté. Qui a dit que les morts avaient besoin de vide et de silence ? En sortant, je rencontre Nadine qui me parle de sa grand-mère espagnole qui aimait visiter les cimetières. Je me souviens de la mienne. Elle était catalane et adorait m’emmener dans les cimetières. L’idée que sa grand-mère ou ses parents se retrouveraient un jour dans un cimetière faisait pleurer mon petit frère. Moi, je regardais les fleurs en porcelaine, je trouvais ça laid. Je détestais ma grand-mère qui adorait nous faire de la peine. Et puis, je voyais des tombes fleuries et d’autres pas, des tombes ostentatoires et d’autres pas, des tombes entretenues et d’autres pas. C’est peut-être à ce moment là que j’ai compris l’humanité. Même les morts sont traités différemment selon leur rang et l’amour qu’on leur porte. Ce dimanche soir, le Oud a été entendu par tous, les vivants et les morts, avec la même émotion et la même énergie. Là, tout au fond de la terre ou tout en haut du ciel, les morts ont dû aussi pleurer en écoutant ces caravanes de chameaux s’élancer dans le désert, entourées d’enfants qui nous souhaitaient une belle route.”
Françoise TOSCANE