Concilier les inconciliables (méditation de Matthieu 10.16)

Matthieu 10.1-8

1 Puis Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité.

6 N’allez pas vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. 7 En chemin, prêchez que le royaume des cieux est proche. 8 Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

16  Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ;  soyez donc rusés comme les serpents et simples comme des colombes.


Cette parole de Jésus contient toute une ménagerie ! Une véritable arche de Noé : brebis, loups, serpents et colombes ! Elle décrit un climat d’adversité auquel les chrétiens sont confrontés. Notre monde va mal ; oui, mais pas beaucoup plus mal qu’au premier siècle de notre ère ou qu’aux “temps des origines”. Il n’y a qu’à feuilleter les premières pages de la Bible : l’accusation, la jalousie, le meurtre fratricide sont à toutes les pages. « L’homme est un loup pour l’homme » a écrit le philosophe Thomas Hobbes. Cette vie est un combat sans pitié entre loups. Et les brebis dans tout ça ?

Pour une foi incarnée

Elles sont envoyées par leur Pasteur dans un monde de brutes. Il ne les met pas à l’écart dans une bergerie blindée. Il ne leur fabrique pas une arche sécurisée aseptisée. « Moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. » L’Eglise n’a pas vocation à se bunkériser dans la chaleur moite et étouffante de l’entre soi. L’Eglise qui se replie dans l’illusion d’un idéal de sainteté, court un risque bien plus grand que celle qui choisit de s’exposer aux dangers de la vie. Entre les murs d’une société de purs, on trouve toujours un mal (mâle!) dominant : celui de la culpabilité et du jugement des autres. La foi chrétienne n’est pas une sortie du monde mais une entrée ! Pas une fuite, mais une incarnation, une prise de risque, un engagement.

A la suite du Christ, par nos comportements, nos paroles, nos silences, nos prises de position, nos projets, par toute notre vie, nous proposons une alternative à la violence, nous offrons la possibilité d’un monde nouveau ; nous disons et nous démontrons que la violence, même justifiée, même rationnelle, même légale n’est pas une voie de résolution des conflits, mais une voie de destruction de notre humanité. L’exemple de l’action militaire de la France en Lybie contre le régime de Kadhafi est éloquent ! On pensait extirper le mal et on l’a fait fleurir !

Comme Christ, nous confessons que l’amour de l’ennemi est plus fort que la punition ou la mort de l’ennemi. Nous nous confions nous-mêmes et notre monde à la tendresse de Dieu.

Pas un, mais plusieurs

Chacun de nous sait très bien qu’il ne se réduit pas à cette gentille brebis prête à se faire tondre sans piper le moindre bêlement !

Ça tombe bien car là n’est pas le but de la mission ! Le berger ne nous envoie pas à la boucherie. Il adresse à ses brebis missionnaires une feuille de route, un code de comportement assez surprenant…

Il leur demande d’être rusées comme des serpents et simples comme des colombes. Autrement dit, Jésus nous demande d’être une chose et son contraire. C’est preuve qu’il nous connaît bien ! Il sait que nous sommes des brebis capables de mordre comme des loups ! C’est pourquoi il n’hésite pas à nous demander des choses aussi paradoxales : serpent et colombe : malins et confiants, calculateurs et naïfs, politiques et innocents, prévoyants et légers…

Le Christ signe là une parole d’expert en humanité. Il nous connaît comme s’il nous avait fait ! Il sait que nous pouvons nous montrer doux comme des agneaux le dimanche à l’Eglise et prêts à tuer pour une place de parking le lundi matin en retard au boulot !

Etre rusés comme des serpents, c’est apprendre à penser le monde de façon complexe, paradoxale, à se tenir sur la brèche des choix impossibles. Rien n’est jamais noir ou blanc. Il faut apprendre à composer avec les contraires. Les chrétiens sont des gens capables d’une expertise, d’une herméneutique responsable et courageuse de la vie.

Accompagner jusqu’au bout

Simone Weil nous a quittés ces jours-ci à l’âge de 89 ans. En légalisant le recours à l’IVG dans les années 70, qu’a-t-elle fait ? Certains diront de manière lapidaire qu’elle a donné le droit d’attenter à la vie impunément, qu’elle a légalisé la transgression suprême.

Mais n’a-t-elle pas offert aussi la possibilité à des femmes de rester en vie au lieu d’aller avorter clandestinement dans des conditions sanitaires épouvantables, d’interrompre une grossesse non désirée, psychologiquement insoutenable, au lieu d’accoucher d’un enfant sans amour, sans avenir ? Elle a permis à des femmes d’échapper au régime oppressif des maternités à la chaîne au nom de la loi naturelle, divine ou celle de leur mari !

De bons chrétiens ont eu vite fait de jeter la pierre du jugement.

Mais le chrétien, même s’il est intimement convaincu de l’importance de défendre la vie humaine, peut aussi choisir d’accompagner l’histoire des hommes et des femmes de son temps ; de se montrer plus malin, plus intelligent que les foules bien-pensantes. Il est appelé ici à témoigner de sa foi au cœur des situations humaines les plus douloureuses, à composer avec les réalités plutôt qu’à les nier ou à les juger. Il résiste à la tentation du jugement radical et définitif, pour rejoindre l’autre là où il se trouve et non là où devrait être ! Il fait le choix de l’accompagnement, de la présence et de l’accueil, malgré tout, au nom du Christ, au cœur des situations humaines les plus désespérées.

Simone Weil, rescapée des camps de la mort a dit : « Un nouvel engagement doit être pris pour que les hommes s’unissent au moins pour lutter contre la haine de l’autre, contre l’antisémitisme et le racisme, contre l’intolérance ».

Il y aura des loups et des serpents…

Au fond, nous sommes en même temps, tour à tour, selon les circonstances, serpents et colombes, brebis et loups. Nous sommes appelés à concilier en nous et entre nous les inconciliables. C’est bien ce monde-là qui vient et qui est déjà là en Jésus. Ce monde paradoxal annoncé par le prophète Esaïe :

« Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. 7 La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits, même gîte. Le lion, comme le bœuf mangera du fourrage. 8 Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main.Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du SEIGNEUR, comme la mer que comblent les eaux. » Amen !

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