Êtes-vous heureux ? (méditation de Matthieu 5.3-12 et Psaume 23)
Psaume 23
1 L’Éternel est mon berger : je ne manquerai de rien. 2 Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles.3 Il restaure mon âme, Il me conduit dans les sentiers de la justice, A cause de son nom.
4 Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : Ta houlette et ton bâton me rassurent.
5 Tu dresses devant moi une table, En face de mes adversaires ; Tu oins d’huile ma tête, Et ma coupe déborde. 6 Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai (je reviendrai) dans la maison de l’Éternel jusqu’à la fin de mes jours. (Louis Segond)
Matthieu 5.3-12
3 Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !
4 Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !
5 Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre !
6 Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés !
7 Heureux ceux qui sont compatissants, car ils obtiendront compassion !
8 Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !
9 Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu !
10 Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux!
11 Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte, qu’on vous persécute et qu’on répand faussement sur vous toutes sortes de méchancetés, à cause de moi. 12 Réjouissez-vous et soyez transportés d’allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux ; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
S’il est une musique d’Évangile que l’on connaît par cœur, c’est bien celle des béatitudes ! Véritable hymne national du Royaume des cieux, elles nous déclarent heureux. Mais que nous disent-elles au juste ? Cette première méditation sur Matthieu 5 nous amène à poser une question un peu fatiguée, un peu nulle aussi : Sommes-nous heureux ?
Bonheur-compagnon
Le psaume 23 nous met sur la piste d’un bonheur très particulier, quand il écrit : « Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie »
Tous les jours ! Ce bonheur quotidien paraît excessif. Certes la vie est faite de belles journées, de moments de grâce, mais il y a aussi les heures sombres. Comment peut-il dire « tous les jours ! »
Où se trouve le bonheur quotidien quand on traverse à pied, dans les larmes, le sang ou le deuil la vallée de l’ombre de la mort ? David ne promet pas ici ce bonheur que l’on se souhaite à peu de frais en janvier. Il dit que le bonheur l’accompagne. Le bonheur n’est donc pas une situation, un état, un acquis, un bien à consommer ; le bonheur pour David, c’est un compagnon de route.
Un bonheur-compagnon, c’est un bonheur qui se découvre en chemin, mais qui reste en même temps un peu mystérieux, un peu insaisissable.
Dans la Bible, on ne baigne pas dans le bonheur, on marche avec ! Le bonheur biblique n’est pas ce désir obsessionnel, mimétique et violent. Quand on marche ensemble, on se tient côte à côte, jamais l’un en face de l’autre. Ce que l’on regarde en marchant, c’est la route à faire en compagnie du bonheur, jamais le bonheur au bout de la route ! Au fond, la Bible parle du bonheur comme s’il s’agissait de quelqu’un, pas de quelque chose. C’est exactement cela !
Bonheur d’être vivants !
Les béatitudes, quant à elles, chantent un bonheur encore plus étrange. Un bonheur paradoxal qui s’invite, par 9 fois, au cœur des situations les plus difficiles. Sont déclarés « heureux » ceux qui à vues humaines ne le sont pas : les pauvres, les affligés, les affamés, les persécutés…
Le mot « heureux » dans le grec original, traduit un mot hébreu (n’oublions pas que Jésus était un juif qui parlait l’araméen.) Ce mot araméen pour dire « heureux » se traduit par « En marche ! » = ashreh ! C’est ainsi que Chouraqui traduit :
• En marche les pauvres en esprit !
• En marche les persécutés pour la justice !
• En marche ceux qui ont faim et soif de justice !
On retrouve le bonheur-compagnon du psaume 23.
Mais une autre traduction de « Heureux » est possible : « Vivants ! » :
• Vivants les pauvres en esprit, le royaume des cieux est à eux !
• Vivants ceux qui pleurent, ils seront consolés !
Cette traduction se détache certes de l’étymologie (araméenne), mais rend compte avec plus de force de ce bonheur paradoxal des béatitudes. « Vivant ! », non pas au sens biologique, mais au sens psychique et spirituel. Une vie qui vient du souffle que Dieu insuffle à chaque être humain. « Les vivants », désigne ceux qui sont pleins ; non pas pleins d’eux-mêmes, pleins de leur richesse matérielle ou de leur confort intellectuel, mais pleins de vie. Les vivants, ce sont ceux qui ont laissé se creuser en eux un espace pour que se produise autre chose que ce qui existe déjà ; un espace d’ouverture à l’imprévu, à l’inconnu. « Vivant ! » signifie donc disponible à la vie du désir, non le désir de soi ou le désir pour soi, mais le désir en soi, ce désir qui nous pousse à faire l’expérience de l’altérité et devenir homme autrement.
De toute façon, les vivants sont toujours des gens qui marchent. Ils ne courent pas après le bonheur, ils vivent et se déplacent avec lui.
La joie comme cachet d’authentification
Les béatitudes s’achèvent sur un appel à la joie : « Réjouissez-vous et soyez transportés d’allégresse.” La joie jaillit dans le sillage du bonheur et de la grâce, compagnons de route du croyant.
Reviens et demeure !
David utilise dans les derniers mots du psaume 23 une expression ambiguë : « Je reviendrai ou j’habiterai dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ».
La forme verbale utilisée en hébreu peut se traduire de deux manières : « je reviendrai » ou « j’habiterai ». C’est un jeu de mots intentionnel ; il ne faut donc pas choisir mais maintenir la double signification.
« Revenir », c’est le même mot que “se convertir”. Nos vies sont appelées à changer de direction. Le bonheur nous appelle à nous interroger quotidiennement sur le sens de notre marche et à le réorienter si nécessaire. Nous sommes appelés ici à redevenir vivants de la vie de Dieu. Le bonheur ne se trouve donc pas sous le sabot d’un cheval mais dans la main de Dieu : il est un don, une naissance de soi à la joie.
Habiter, c’est autre chose… Habiter, c’est se poser, c’est s’arrêter pour contempler, faire silence tout en goûtant la joie profonde d’être en vie dans le compagnonnage de Dieu et des hommes. Habiter, c’est prendre conscience de ce bonheur paradoxal qui nous habite et nous vivifie jusqu’au plus sombre des heures que nous traversons !
Tel est le bonheur offert par les béatitudes. En voulons-nous toujours ?