“Un fil rouge en guise de Psaume” (Méditation du Ps 146)
Psaume 146 (7-10)
1 Alléluia !
7 Il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés.
8 Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes,
9 le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant.
10 D’âge en âge, le Seigneur régnera : ton Dieu, ô Sion, pour toujours ! Alléluia !
Ce psaume 146 est un petit joyau. Il n’est pas qu’un « Alléluia » de plus dans le grand concert de louange du livre des Psaumes. Il est l’un de ces fils rouge dont la Bible a le secret. Il ne vient pas seul. Avec lui, une foule de récits et de textes qui martèlent le même message : Dieu libère aujourd’hui !
Chanter le Dieu libérateur
Bien d’autres psaumes invoquent le Dieu libérateur : « Dieu est l’appui de tous les déchus, il redresse tous les bossus » (145.14)
« Le Seigneur agit pour la justice et défend le droit de tous les opprimés » (103.6)
« Non, le pauvre ne sera pas toujours oublié, ni l’espoir des malheureux à jamais perdu.” (Psaume 9.19).
A leur propos Luther King a écrit : « Chaque fois que des hommes et des femmes redressent l’échine, ils peuvent aller où ils veulent, car personne ne peut monter sur votre dos tant que vous vous tenez droits ».
De l’opprimé comme de l’oppresseur
Tant d’hommes et de femmes dans les chaines de l’oppression ont fait l’expérience de cette improbable libération. De leur sanctuaire intérieur, inviolable, tel Daniel au milieu de la fournaise, ou Job sur son tas de fumier, ils ont imploré le ciel.
En tirant sur notre fil rouge on verrait venir les grandes fresques bibliques, comme le récit de la sortie d’Egypte. Mais Dieu entend aussi les cris de ceux qui ne sont pas d’Israël. Il entend les cris d’Ismaël et de sa mère, abandonnés au désert sans eau et il les abreuve de sa bénédiction. Il est encore le Dieu de Job l’inconsolable qui hurle vers le ciel son sentiment d’injustice refusant les leçons de bonne théologie dont on le gratifie.
Mais Dieu reste aussi le Dieu des oppresseurs : il n’abandonne pas Caïn à sa violence mais le marque d’un signe pour le protéger de la vengeance, celui de la grâce évidemment !
La loi oubliée (Lévitique 25)
Mais il est une page de la Bible qui va encore plus loin. Au chapitre 25 du livre du Lévitique, la Loi prévoit une année de jubilé tous les 49 ans : la 50e année, chacun se fait prophète de Dieu pour « proclamer la libération dans le pays »(Lev 25.10). La loi du jubilé impose notamment une remise à zéro le la pendule sociale : peu importe les profits réalisés pendant 50 ans, chacun rend ce qu’il a acquis et revient sur son lopin de terre initial ; une nouvelle histoire commence. Cette loi qui me donnerait presque envie de devenir littéraliste, n’a jamais été appliquée en Israël. Et pour cause ! Imaginez-vous : « rendre la terre »… A ce compte là, 1998, aurait du être l’année de la grande réconciliation entre israéliens et palestinien. 50 année après la création de l’Etat d’Israël, on aurait fêté au Liban, en Palestine et en Israël, la fin de la spoliation et le retour à un partage équitable de la terre.
Notre psaume 146 est travaillé par cette longue tradition de la libération.
Réfugiés à perpétuité ?
Et quand, à l’aube de son ministère le rabbin Jésus de Nazareth se lève dans la synagogue de son village pour lire la Torah, choisit-il par hasard cet extrait du rouleau d’Esaïe (Es 58.6) ? « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année de grâce par le Seigneur. » (Luc 4.18-19)
Cette année de grâce et de remise à zéro des comptes, cette Bonne Nouvelle, le monde entier l’attend dans les larmes, l’épuisement et la mort.
Le Dieu des causes perdues se fait attendre, chers amis, comme celle de cette grand-mère palestinienne réfugiée à perpétuité au camp de Dbayieh (Liban), spoliée il y a près de 70 ans de sa maison natale dont elle serre encore la clé contre son cœur.
Il se fait désirer le Dieu libérateur des peuples syrien, irakien, libyen, yéménites, réfugiés du monde entier, noyés dans le flot de nos indifférences ou ceux de la mer Méditerranée.
Jusques à quand Seigneur ?
Quand donc le Dieu sauveur viendra-t-il rendre la justice, relever, protéger, rétablir le droit? Ce Royaume de Dieu annoncé si proche, où est-il donc ?
Peut-être ne savons-nous pas regarder où il faut ? Le bruit d’une actualité indéchiffrable et versatile nous rend aveugles et sourds.
Les Écritures nous appellent à renouer avec le fil rouge de l’espérance. Pour cela, il nous faut commencer par entrer en résistance à l’esprit du temps. Et si le Maître du temps et de l’histoire a besoin de temps pour conduire l’histoire, s’il tarde à venir, c’est parce qu’il a décidé de faire avec nous et nous sommes lents…
Heureux donc le peuple qui, confessant le Dieu libérateur, se découvre en marche vers les étrangers, les réfugiés, les délaissés. Heureux les femmes et les hommes de foi qui, découvrant la puissance divine, toute contenue dans la folie de la croix, s’engagent au service des plus fragiles. Heureux le peuple libéré des contrefaçons religieuses et des conforts intellectuels qui, suivant le chemin du Christ, se portera au secours de la veuve et de l’orphelin !
Alléluia !
« Alléluia ! », c’est le mot du début et le mot de la fin de ce psaume 146. Que nos vies se sanctuarisent dans cet entre-deux, cet espace de libération, d’espérance et de joie malgré tout. Alléluia !