“Se tenir sur le seuil” (méditation de Jean 10. 7-10)

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“Je suis la porte, si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages” (Jean 10.9)

Jean 10.7-10

7 Jésus leur dit encore: En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands; mais les brebis ne les ont point écoutés.

9 Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages.
10 Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance.


Aux voleurs !

Le danger est clairement identifié. Plus menaçant que le loup (qui ravit et disperse ; v.12) les voleurs de brebis égorgent et détruisent.

Je pense spontanément aux chrétiens d’Irak et de Syrie directement exposés aux attaques de DAECH, à leurs prêtres égorgés, leurs Eglises détruites. Mais il faudrait aussi parler de ces grands oubliés des média, les chrétiens de Palestine, humiliés et ruinés économiquement par la politique sécuritaire d’Israël. Ils fuient leur “terre sainte” pour se réfugier sur la “terre promise” occidentale où ils ne tarderont pas à découvrir qu’en guise de lait et de miel, cette terre déborde d’indifférence et d’individualisme.

Il existe en Occident d’autres voleurs de brebis non moins inquiétants…

La société, fondée sur les dogmes de la surconsommation et de l’individualisme, est une grande voleuse d’âmes. Elle produit de moins en moins d’esprits libres et de plus en plus de gens assistés ou détenteurs du pouvoir financier. Ce qui compte aujourd’hui n’est pas tant de construire une société où chacun trouverait sa place, un monde pacifié, réconcilié qui permettrait aux générations futures de se développer dans le respect de l’environnement et le partage des richesses, mais de profiter et de permettre à ses descendants de profiter encore plus. Vision du monde voleuse d’humanité, tueuse de fraternité et de solidarité.

Il faudrait encore parler de la déchristianisation du monde occidental. L’affirmation de la supériorité de la pensée et de la science sur la croyance n’a pas tout résolu. La marginalisation de l’Eglise et de ses engagements au nom d’une laïcité liberticide n’a pas non plus accouché d’une société réconciliée, loin s’en faut ! Aux voleurs !

La tentation de l’entre-soi

Quand la société et l’Eglise perdent, l’une comme l’autre, une vision claire du monde ou de leur vocation, le risque du sectarisme devient grand. Le troupeau décide alors de s’enfermer à double tour dans la bergerie par crainte de se perdre, de se corrompre au contact d’un monde ou d’une l’Eglise dévoyés.

L’histoire est pleine de ces bâtisseurs de mondes meilleurs, d’Eglises idéales, tous convaincus d’appartenir au petit reste fidèle, au peuple véritable. Il y aurait beaucoup à dire sur le fondamentalisme évangélique, finalement plus prompt  à juger qu’à construire, à diviser qu’à réconcilier. Ceci dit, vu du Liban, il apparaît que le protestantisme n’a pas l’exclusivité du sectarisme religieux !

Regardons plutôt comment est conçue la bergerie du Seigneur. Sa Porte sert à entrer et à sortir. La sortie est aussi importante que l’entrée. Si vous ne faites qu’entrer, vous allez concevoir l’Eglise comme une fin en soi, une destination. Une Eglise où l’on entrerait, se convertirait et recevrait une fois pour toute le message de la pure vérité… L’Eglise, telle que Jésus la conçoit dans la métaphore de la Porte, est un lieu de passage, et non un lieu de vie. C’est dehors que se trouvent les pâturages et le grand air, pas dedans !

L’Eglise appelle les croyants mais les renvoie aussitôt. Elle n’a pas vocation à produire une culture spécifique mais à transformer le monde au moyen de la parole du Christ. Autrement dit, je ne vais pas à l’Eglise pour qu’on m’y propose des amis, des loisirs, du sport, de la musique, de la lecture, des sorties, des rendez-vous avec un groupe sur mesure ou un pasteur omniprésent. L’Eglise n’a pas vocation à remplir ma vie. Enfin l’histoire en témoigne, dans l’entre-soi, le troupeau s’expose à bien d’autres risques. Le confinement ne vaut rien, il met en branle une surenchère à la pureté, à la fidélité doctrinale qui accouche toujours des mêmes fruits, divisions, violences, scandales. Il faudrait encore parler de ces brebis qui ne font que sortir…

La vie abondante

L’expression “vie abondante” contraste avec les considérations précédentes. Elle fait l’objet d’une promesse déjà accessible.

Elle se situe dans ce mouvement incessant entre l’entrée et la sortie. Pile entre les deux ? Je ne vois que le seuil ! La vie abondante tient premièrement en une posture : se tenir à la croisée des chemins, sur ce fil du rasoir, entre arrivées et départs, entre doute et foi, affirmation et questionnement ; à l’écoute de ce qui se passe et de ceux qui passent. En somme, une vie marquée par l’universel et non seulement par le particulier, le confessionnel. La vie abondante accueille et salue la complexité de l’existence ; elle ne se satisfait pas des étiquetages rapides, des raccourcis réducteurs. C’est une vie qui se donne le temps et les moyens d’être présente à sa propre vie, comme à celle des autres, sans jamais chercher à posséder ou à rejeter. Te connaître c’est donc vivre, Seigneur !

Il y a, je l’espère, dans cette parole du Christ de quoi réenchanter la vie sous toutes ses coutures. C’est une question de résistance et d’abandon, de courage et de confiance, d’ouverture et de conviction, là quelque part sur le seuil. Amen.

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“Seigneur, te connaître c’est vivre, vivre c’est te connaître (Jean 17.3) ! Vivre vraiment, vivre autrement, dans l’abandon de nos certitudes et l’accueil de ta promesse. Vivre en choisissant la halte de la bergerie et l’engagement dans ce monde, objet incessant de ton amour. Garde-nous sur le seuil, Seigneur, garde-nous en vie !”

 

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