Le terme de « suivance » (nachfolge, intraduisible en français) est un néologisme lumineux que nous devons aux traducteurs de Dietrich Bonhoeffer, pasteur-théologien allemand, résistant exécuté en camp de concentration par les nazis, le 9 avril 1945. Il désigne la marche du disciple à la suite du Christ.
Le mouvement de suivance, à la fois physique, mystique et théologique, prend son élan par l’écoute de la parole de Jésus, en particulier celle prononcée en Luc 9.23 : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, prenne sa croix chaque jour et me suive. ». Certains comme Pierre, Jacques et Jean se mettront en marche, d’autres reculeront (le riche ; Luc 18.22).
Luc 5, 1-11 (TOB)
« 1 Or, un jour, la foule se serrait contre lui à l’écoute de la parole de Dieu ; il se tenait au bord du lac de Génésareth. 2 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs qui en étaient descendus lavaient leurs filets. 3 Il monta dans l’une des barques, qui appartenait à Simon, et demanda à celui-ci de quitter le rivage et d’avancer un peu ; puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
4 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour attraper du poisson. » 5 Simon répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » 6 Ils le firent et capturèrent une grande quantité de poissons ; leurs filets se déchiraient. 7 Ils firent signe à leurs camarades de l’autre barque de venir les aider ; ceux-ci vinrent et ils remplirent les deux barques au point qu’elles enfonçaient.
8 A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un coupable. » 9 C’est que l’effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pris ; 10 de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu auras à capturer. » 11 Ramenant alors les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent. »
Suivre Jésus : une valse à quatre temps !
Le récit de la pêche miraculeuse de Luc 5.1-11, s’achève sur ces mots : « Laissant tout, ils le suivirent » (5.11). Tout quitter pour vivre l’aventure de la suivance, y a-t-il un mode d’emploi ?
Le récit met en perspective différents déplacements des acteurs, initiés par la prédication de Jésus. Ce jeu de mouvements apporte un éclairage précieux sur ce qu’est et ce que n’est pas la suivance du Christ.
Premier mouvement : Jésus s’éloigne (1-3).
Pris au filet de la foule qui le presse, Jésus se distancie d’un environnement fermé où la parole étouffe. Il s’éloigne de la terre (3), pour que la parole puisse se distinguer des mille préoccupations de la foule. La suivance n’est pas annexion ou appropriation. Elle accueille la liberté de mouvement, d’être et de parole du Christ. Elle en vit.
Second mouvement : “Avance en eau profonde” (4-7)
Mouvement qui conduit du rivage des lassitudes vers le large et le profond. Ces hommes lavent leurs filets (2), geste de résignation s’il en est. Quand la vie se résume à mettre de l’ordre dans ce qui ne sert à rien, il est temps que le Christ passe par là ! Et lorsque, quelques instants plus tard, ce même filet craque sous le poids de la prise, un autre mouvement se met en branle, celui de l’entraide entre pêcheurs. Belle image de l’Église débordée par le bouillonnement de sa vocation !
Troisième mouvement : Pierre s’éloigne (8-10)
Au lieu de répandre joie et communion, le miracle creuse de la distance : « Seigneur, éloigne-toi de moi… ». Pierre semble pris au filet de sa religion. Il perçoit en Dieu un Juge redoutable. Pierre n’est pas encore en suivance, il se débat dans ses culpabilités. S’il ne se renie lui-même, il restera un laveur de filet.
Mouvement décisif : “laissant tout, ils le suivirent” (11)
Ils ne savent pas où ils vont. Qu’importe ! Seule fait sens la présence du Seigneur. La suivance n’est pas suiveuse. Elle écoute ; elle meurt à la tyrannie du MOI puis se relève ; elle croit et se met en route avec Christ à la rencontre des hommes.