“Dieu aime les guitaristes*” (Méditation de Samuel 17)
1 Samuel 16 (extraits)
(Sur ordre du Seigneur le prophète Samuel passe en revue les sept fils de Jessé à la recherche d’un nouveau roi à oindre…)
7Samuel se dit, en voyant Eliab (fils de Jessé): « A coup sûr, le SEIGNEUR a devant lui l’homme de son onction ! 7Mais le SEIGNEUR dit à Samuel : Ne prête pas attention à son apparence et à sa haute taille, car je l’ai rejeté. Il ne s’agit pas de ce que l’homme voit ; l’homme voit ce qui frappe les yeux, mais le SEIGNEUR voit au cœur. […]
11Samuel dit à Jessé : « Les jeunes gens sont-ils là au complet ? » Jessé répondit : « Il reste encore le plus jeune : il fait paître le troupeau. » Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher. Nous ne nous mettrons pas à table avant son arrivée. » 12Jessé le fit donc venir. Il avait le teint clair, une jolie figure et une mine agréable. Le SEIGNEUR dit : « Lève-toi, donne-lui l’onction, c’est lui. » 13Samuel prit la corne d’huile et il lui donna l’onction au milieu de ses frères, et l’esprit du SEIGNEUR fondit sur David à partir de ce jour. Samuel se mit en route et partit pour Rama. […]
17Saül leur répondit : Trouvez-moi, je vous prie, un homme qui joue bien de la lyre, et amenez-le-moi. 18L’un des serviteurs dit : J’ai vu un fils de Jessé, le Bethléhémite, qui sait jouer ; c’est aussi un brave, un vaillant guerrier ; il parle bien, c’est un bel homme, et le SEIGNEUR est avec lui.
1 Samuel 17.4 -18.5 : David et Goliath (extraits)
4 Un champion sortit du camp philistin. Il s’appelait Goliath et il était de Gath. Sa taille était de six coudées et un empan. 5Il était coiffé d’un casque de bronze et revêtu d’une cuirasse à écailles. Le poids de la cuirasse était de cinq mille sicles de bronze. 6Il avait aux jambes des jambières de bronze, et un javelot de bronze en bandoulière. 7Le bois de sa lance était comme l’ensouple des tisserands, et la pointe de sa lance pesait six cents sicles de fer. Le porte-bouclier marchait devant lui.
8Il se campa, et il interpella les lignes d’Israël. Il leur dit : « A quoi bon sortir vous ranger en bataille ? Ne suis-je pas le Philistin, et vous des esclaves de Saül ? Choisissez-vous un homme, et qu’il descende vers moi ! 9S’il est assez fort pour lutter avec moi et qu’il me batte, nous serons vos esclaves. Si je suis plus fort que lui et que je le batte, vous serez nos esclaves et vous nous servirez. » 10Le Philistin dit : « Moi, aujourd’hui, je lance le défi aux lignes d’Israël : Donnez-moi un homme, pour que nous combattions ensemble ! » 11Saül et tout Israël entendirent ces paroles du Philistin et furent écrasés de terreur. 12David était le fils d’un Ephratéen, celui de Bethléem de Juda, qui s’appelait Jessé et avait huit fils. […] 14David était le plus jeune ; les trois aînés avaient suivi Saül, 15mais David allait chez Saül et en revenait pour paître le troupeau de son père à Bethléem. […]
23Comme David parlait avec ses frères, voici que montait, des lignes philistines, le champion appelé Goliath, le Philistin de Gath. Il tint le même discours, et David l’entendit. 24En voyant cet homme, tous les hommes d’Israël eurent très peur et s’enfuirent. 25Les hommes d’Israël disaient : « Avez-vous vu cet homme qui monte ? C’est pour défier Israël qu’il monte. Qu’un homme le batte, et le roi le fera très riche. Il lui donnera sa fille et, à sa famille, des privilèges en Israël. » […]
28Eliav, son frère aîné, entendit David parler aux hommes. Il se mit en colère contre lui et lui dit : « Pourquoi donc es-tu descendu ? A qui as-tu laissé ton petit troupeau dans le désert ? Je connais, moi, ta turbulence et tes mauvaises intentions : c’est pour voir la bataille que tu es descendu. » […]
31Cependant, les paroles prononcées par David avaient été entendues, et on les avait rapportées à Saül. Celui-ci le fit venir. 32David dit à Saül : « Que personne ne se décourage à cause de ce Philistin, ton serviteur ira le combattre. » 33Saül dit à David : « Tu es incapable d’aller te battre contre ce Philistin : tu n’es qu’un gamin, et lui est un homme de guerre depuis sa jeunesse. » 34David dit à Saül : « Ton serviteur était berger chez son père. S’il venait un lion, et même un ours, pour enlever une brebis du troupeau, 35je partais à sa poursuite, je le frappais et la lui arrachais de la gueule. Quand il m’attaquait, je le saisissais par les poils et je le frappais à mort. 36Ton serviteur a frappé et le lion et l’ours. Ce Philistin incirconcis sera comme l’un d’entre eux, car il a défié les lignes du Dieu vivant. » 37David dit : « Le SEIGNEUR qui m’a arraché aux griffes du lion et de l’ours, c’est lui qui m’arrachera de la main de ce Philistin. » Saül dit à David : « Va, et que le SEIGNEUR soit avec toi. »
38Saül revêtit David de ses propres habits, lui mit sur la tête un casque de bronze et le revêtit d’une cuirasse. 39David ceignit aussi l’épée de Saül par-dessus ses habits et essaya en vain de marcher, car il n’était pas entraîné. David dit à Saül : « Je ne pourrai pas marcher avec tout cela, car je ne suis pas entraîné. » Et David s’en débarrassa. 40Il prit en main son bâton, se choisit dans le torrent cinq pierres bien lisses, les mit dans son sac de berger, dans la sacoche, et, la fronde à la main, s’avança contre le Philistin.
41Le Philistin, précédé de son porte-bouclier, se mit en marche, s’approchant de plus en plus de David.42Le Philistin regarda et, quand il aperçut David, il le méprisa : c’était un gamin au teint clair et à la jolie figure. 43Le Philistin dit à David : « Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons ? » Et le Philistin maudit David par ses dieux. 44Le Philistin dit à David : « Viens ici, que je donne ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs. » 45David dit au Philistin : « Toi, tu viens à moi armé d’une épée, d’une lance et d’un javelot ; moi, je viens à toi armé du nom du SEIGNEUR de l’univers, le Dieu des lignes d’Israël, que tu as défié. 46Aujourd’hui même, le SEIGNEUR te remettra entre mes mains : je te frapperai et je te décapiterai. Aujourd’hui même, je donnerai les cadavres de l’armée philistine aux oiseaux du ciel et aux animaux de la terre. Et toute la terre saura qu’il y a un Dieu pour Israël. 47Et toute cette assemblée le saura : ce n’est ni par l’épée, ni par la lance que le SEIGNEUR donne la victoire, mais le SEIGNEUR est le maître de la guerre et il vous livrera entre nos mains. »
48Tandis que le Philistin s’ébranlait pour affronter David et s’approchait de plus en plus, David courut à toute vitesse pour se placer et affronter le Philistin. 49David mit prestement la main dans son sac, y prit une pierre, la lança avec la fronde et frappa le Philistin au front. La pierre s’enfonça dans son front, et il tomba la face contre terre. 50Ainsi David triompha du Philistin par la fronde et la pierre. Il frappa le Philistin et le tua. Il n’y avait pas d’épée dans la main de David.
51David courut, s’arrêta près du Philistin, lui prit son épée en la tirant du fourreau et avec elle acheva le Philistin et lui trancha la tête. […] 54David prit la tête du Philistin et l’apporta à Jérusalem et il mit ses armes dans sa propre tente.
1 Samuel 18,1-5
1Dès que David eut achevé de parler à Saül, Jonathan s’attacha à David ; Jonathan l’aima comme lui-même. 2Ce même jour Saül retint David ; il ne le laissa pas retourner chez son père. 3Jonathan conclut une alliance avec David, parce qu’il l’aimait comme lui-même. 4Il ôta le manteau qu’il portait pour le donner à David, ainsi que ses habits et même son épée, son arc et sa ceinture. 5David partait en campagne partout où l’envoyait Saül, et tout lui réussissait ; Saül le mit à la tête des hommes de guerre et il plut à tout le peuple, même aux gens de la cour de Saül.
L’histoire est célébrissime et le risque de passer à côté, symétriquement aussi important. Le narrateur construit son récit au moyen de contrastes vifs : David – Goliath, force et faiblesse, l’évident et l’improbable, jeunesse–âge mûr, et mon préféré : l’épée contre la lyre !
Au royaume des évidences, le lecteur est roi…
Les récits de la Bible forcent souvent le trait de manière à susciter chez le lecteur une réponse spontanée, immédiate, mais attention au piège…
Lequel d’entre nous s’identifie spontanément à cette brute épaisse de Goliath ? Je ne sais pas pour vous, mais moi, je m’identifie plus volontiers à ce beroï de David (mignon en béarnais): jeune et beau (16.11), intelligent, courageux, inspiré, et, ce qui ne gâche rien, guitariste (je sais, c’est une lyre… C’est pour dire que le processus d’identification joue à plein ! 16.18).
Et puis, à la différence de Samuel – dans le rôle du prophète aveugle et dépressif (16.1 et 6), nous tenons la position confortable du lecteur-spectateur, à la fois distant et informé du projet de Dieu (« les hommes voient ce qui saute aux yeux mais le Seigneur voit le cœur » (16.7). David nous apparaît comme une évidence alors que pour tous les acteurs du récit (Samuel, Jessé, les frères de David, Israël et les Philistins), il est une absurdité. Le camp d’Israël, à l’image de son prophète fatigué, juge d’après les apparences et se fourvoie. Qu’aurions-nous fait à leur place ?
Notre jugement est façonné par le soin que l’auteur attache au détail. Par exemple, dans ce chapitre 17, Goliath n’est appelé par son nom qu’à deux reprises (17.4 et 23) alors que David, le champion d’Israël, est nommé vingt-sept fois. A quinze autres reprises, Goliath est appelé « le philistin ». Un peu comme « le riche » et Lazare dans la parabole de Luc 16 dont l’identité est réduite à son compte en banque, l’identité du Philistin se limite presque entièrement à sa force physique.
Il faudrait encore insister sur le fait majeur de l’élection de David (16.1), devenant par ce seul fait le candidat, le héros du lecteur et pour la succession au trône et pour le combat contre « le Philistin ». Au royaume des évidences, le lecteur est roi !
Trop beau pour être vrai
Tout cela est très bien mais que faire des anomalies qui balisent le récit comme les cailloux du Petit Poucet ou ceux de la fronde de David ? Premièrement, de qui tient-il l’ordre de combattre le géant ? Pas de Dieu en tous cas. Pourquoi David s’arme-t-il d’une fronde alors qu’il prétend combattre au nom de l’Eternel (17.45) ? Est-il normal qu’un simple berger se montre aussi intéressé politiquement et financièrement (17.25-27) ? Comment un gamin (17.42) joueur de lyre et gardien de troupeaux peut-il en quelques instants se changer en guerrier coupeur de tête (17.51) ? Pourquoi David garde-il les armes de Goliath dans sa propre tente au lieu de retourner à son bâton de berger (17.54) ? Autrement dit, que s’est-il passé entre 16.11 et 18.4 ? Comment un jeune berger guitariste peut-il se transformer en chef de guerre ? En quoi est-il différent désormais de son maître Saül et de sa victime Goliath ?
Un récit révélateur
Ces anomalies nous apprennent que les récits bibliques ne sont pas de jolies histoires à l’eau de rose où de gentils bergers guitaristes retournent humblement à leurs troupeaux après avoir courageusement servi la nation. Le récit biblique nous raconte comment un gentil et brillant adolescent peut devenir en quelques heures un djihadiste coupeur de tête ! Il lui faudra l’amour d’un Jonathan (18.3) et la parole entêtante de Dieu pour l’empêcher de ressembler tout à fait à n’importe quel riche, à n’importe quel puissant. Sommes-nous toujours les lecteurs-spectateurs du début ?
David et Goliath, mes frères…
Ne sommes-nous pas tous un peu des David et des Goliath, un peu bergers ou guitaristes, un peu guerriers, un peu sauvages sur les bords ? Le Philistin avait un nom, Goliath, c’est-à-dire une mère et un père qui l’attendaient au village de Gath… David avait une vocation (magnifique !), celle de faire paître son troupeau au désert (rappelée vigoureusement en 17.28). Que sont nos noms et vocations devenues ?
Que Dieu nous accorde la grâce de rencontrer des Jonathan. Ils nous aideront à combattre les philistins et autres ambitieux personnages qui sommeillent en nous ! Qu’il nous donne surtout la joie de rencontrer Jésus-Christ, lui qui nous aime comme personne n’a jamais aimé.